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28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 01:58
La Palestine entre économie locale et globalisation

UN AUTRE MODE DE RÉSISTANCE

ORIENT XXI LU, VU, ENTENDU > DELPHINE VINCENT > 24 OCTOBRE 2014

 

 

Comment vivre, consommer et agir dans une Palestine « glocale », c’est-à-dire prise entre une dynamique d’échanges mondialisés et les contraintes imposées par l’occupation israélienne ? Tel était le défi posé par lecolloque organisé par l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et l’université An-Najah à Naplouse et Sebastia, en partenariat avec le consulat de France et l’Institut français de Jérusalem, du 30 septembre au 2 octobre.

Il est difficile d’imaginer que ce qui apparaît aujourd’hui comme le verrou d’une prison nationale était il y a encore quelques décennies une extraordinaire ouverture sur le reste du monde. C’est sur cette amère pensée que s’achève le film Five Minutes From Home de Nahed Awwad (2008), projeté en clôture de la première journée de conférence sur la place du village de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Se plongeant dans l’histoire de l’ancien aéroport de Jérusalem situé à Qalandia, entre Jérusalem et Ramallah, la réalisatrice y met en lumière un triste et symbolique parallèle avec le checkpoint qui l’a remplacé depuis quelques années, coupant Jérusalem de la Cisjordanie. Alors qu’aujourd’hui un trajet de Ramallah à Jérusalem peut prendre plusieurs heures, dans les années 1960 quelques dinars et une heure de vol suffisaient pour s’évader un week-end à Beyrouth ou à Amman.

Si la mondialisation s’est traduite sur tous les continents par un effacement progressif des frontières, les Palestiniens connaissent quant à eux un enfermement croissant, en particulier depuis la construction par Israël du mur «  de séparation  » et du système élaboré de checkpoints et de barrages l’accompagnant. La mobilité des Palestiniens est d’autant plus problématique, comme l’explique Stéphanie Latte-Abdallah, chercheure au CNRS (Ifpo, Palestine) et co-organisatrice avec Joni Aasi (université An-Najah) du colloque, qu’elle est hasardeuse et fonction des réalités différenciées de l’occupation sur le terrain. Chacun a accès à des droits particuliers (101 types de permis différents peuvent ainsi être délivrés aux Palestiniens), et un système répressif massif tisse ce qu’elle nomme une «  toile carcérale  » sur les territoires palestiniens.

CIRCULER SOUS OCCUPATION

Comment concevoir le développement et l’avenir du territoire national dans un monde globalisé, quand la Palestine subit en parallèle une privation de mouvement de ses habitants, ainsi qu’un morcellement croissant et une colonisation rampante  ? Les échelles, les trajectoires de mobilité et les modes de circulation, cruciaux pour comprendre la mondialisation à travers le prisme de l’occupation, étaient nécessairement au cœur de toutes les problématiques soulevées pendant ces trois journées d’un colloque riche et diversifié, tant par les thèmes abordés que par les acteurs impliqués : architectes, urbanistes, artistes, chercheurs, agriculteurs et citoyens engagés.

L’absence, faute de permis, de plusieurs intervenants invités à cette rencontre internationale, rappelait à elle seule les difficultés à échanger… C’est donc branché sur Skype depuis Gaza que Mohamed Abou Sal a présenté au public d’An-Najah «  Un métro à Gaza  », projet artistique qui imagine résoudre la question des transports chaotiques dans la bande de Gaza par la création d’une interface utilisant l’ancien tracé du chemin de fer du Hedjaz1ainsi que les tunnels de Gaza.

L’EXCEPTION ARTISTIQUE

Si les frontières restent bien ancrées, sur les cartes comme dans les esprits, elles sont souvent plus étanches à l’intérieur du pays qu’avec l’extérieur, et l’enclavement territorial local a pour corollaire des déplacements vers des destinations plus lointaines et un recours accru aux nouvelles technologies. Marion Slitine, doctorante à l’Ifpo Jérusalem, évoque la mise en place croissante, dans le domaine de l’art, de financements, de partenariats et de bourses qui permettent aux Palestiniens de voyager par le monde plus aisément que sur leur propre territoire. Les capitales occidentales, et notamment Londres, sont friandes de production artistique palestinienne, qu’elle soit théâtrale, cinématographique ou plus largement «  visuelle  ». Les œuvres sont peut-être les productions palestiniennes qui s’exportent et se vendent le mieux, surtout lorsqu’elles ont pour cadre ou sujet la Palestine.

Pour la nouvelle génération, la simplification des échanges rendue possible notamment par le développement d’Internet apparaît comme une réelle opportunité de sensibiliser le reste du monde à la question palestinienne. C’est ainsi par exemple que le siteVisualizing Palestine concentre les talents de ses designers sur des créations visuelles originales, basées sur des données des Nations unies et diffusées via les réseaux sociaux, pour faire évoluer une vision du conflit israélo-palestinien souvent biaisée et formatée.

POUR UNE CONSOMMATION DE RÉSISTANCE

La mondialisation économique signifie également l’importation de modes de vie et de consommation. Entre occupation coloniale et néolibéralisme, elle se présente en Palestine à la fois comme une opportunité et une contrainte. Yazid Anani, professeur d’architecture à l’université de Birzeit, dénonce la«  schizophrénie  » de Ramallah qui voit se multiplier les buildings, les restaurants et les cafés chics où les classes palestiniennes aisées viennent garer leurs grosses cylindrées et se retrouver autour d’un capuccino pour discuter de leurs cours de gymnastique. Une population qui vit selon lui dans l’illusion d’une modernisation et d’une reconstruction postcoloniale alors même que le pays vit sous occupation.

Ces aspirations à de nouveaux modes de vie empruntent largement à l’Occident mais aussi à Israël, dans une sorte de fascination pour l’occupant mélangée à une volonté de se sentir égal à lui. Un exemple emblématique en est la ville nouvelle de Rawabi, au nord de Ramallah, première ville planifiée par l’Autorité Palestinienne et dont l’architecture, l’urbanisme mais aussi la conception rappellent de manière troublante la configuration des colonies israéliennes.

Ces nouveaux modes de vie influencés à la fois par la mondialisation, le néolibéralisme et l’occupation ne touchent pas que les classes supérieures. Les marchés de Cisjordanie sont inondés de produits israéliens, qui font même concurrence aux productions locales. Pour des raisons économiques ou pour disposer d’un choix plus large de produits, il n’est pas rare que des Palestiniens succombent à l’attrait des supermarchés israéliens Rami Lévy, implantés dans les colonies voisines. Et cela quand, par ailleurs, les producteurs palestiniens doivent se résoudre à écouler leurs marchandises à bas prix et que l’économie palestinienne reste fortement dépendante des financements internationaux et des échanges avec Israël.

L’AGRICULTURE AU PIED DU MUR

Alors que le mouvement de boycott et désinvestissement (BDS) prend de l’ampleur en Palestine et à l’échelle mondiale, et ce tout particulièrement depuis la dernière agression israélienne à Gaza cet été, la construction d’une économie palestinienne indépendante, fondée sur une production et une consommation locales, peine à exister. Autour de la table du débat «  Produire et consommer aujourd’hui  », deux producteurs locaux, Fayez Al-Thaneeb et Mourad Al-Khouffash2 affichent pourtant leur détermination à développer une production locale et biologique en Palestine, en dépit des contraintes qui leur sont imposées et de la difficulté à vivre de leur travail. Pour soutenir les agriculteurs et sensibiliser les consommateurs, l’association Sharaka, en lien avec le mouvement BDS, organise quant à elle des ventes régulières de productions baladieh (locales, autochtones) en Cisjordanie.

PRIORITÉ À L’ÉCONOMIE LOCALE

Clôturant trois jours de discussions, Anne-Cécile Ragot, consultante et créatrice de l’association There Are Other Alternatives (Taoa) intervient sur la nécessité de penser l’économie locale comme une priorité, non seulement dans le domaine agricole mais dans tous les secteurs de production. Sa présentation ouvre de nouvelles perspectives, encourageant à la création en Palestine d’une monnaie locale complémentaire3 qui permettrait d’orienter les flux de monnaie vers des productions locales pour une meilleure emprise sur le développement économique territorial, comme ce fut le cas notamment en Amérique du Sud (en France avec les systèmes d’échanges locaux, les SEL).

Dans la ville marchande de Naplouse et le village de Sebastia — modèle de développement local basé sur le tourisme rural —, ces trois journées d’échange auront laissé avant tout l’espoir de voir émerger de nouveaux partenariats et initiatives, fortement encouragés par la réussite de cette rencontre entre le monde de la recherche et la société civile. À présent, comme l’ont conclu plusieurs participants, «  à chacun de faire sa part  ».

1Ligne de train qui reliait Damas à Médine, à travers le Hedjaz, région du nord-ouest de l’Arabie saoudite. Sa construction, sur l’ordre du sultan ottoman Abdul Hamid II, a été achevée en 1908. Une partie fut détruite durant la première guerre mondiale et jamais reconstruite.

2Fayez Al-Thaneeb est agriculteur et activiste, il a développé depuis 1984 une agriculture biologique dans sa ferme à Tulkarem, située à quelques pas du Mur et d’une usine israélienne de produits chimiques. Mourad Al-Khouffash a créé en 2006 la première ferme de permaculture en Palestine, dans le village de Marda. Il reçoit chaque année des agriculteurs, étudiants et volontaires du monde entier, afin de leur enseigner les pratiques de ce mode d’agriculture durable reposant sur l’écologie et le respect de la biodiversité.

3Une monnaie locale complémentaire est en usage dans une communauté et/ou un territoire limité. Elle n’est pas reconnue au niveau national, ni par le système financier en général, mais souvent acceptée dans les échanges économiques locaux.


http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/la-palestine-entre-economie-locale,0732

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23 octobre 2014 4 23 /10 /octobre /2014 01:54

ENTRETIEN

Pierre Conesa : "Le terrorisme ne se combat pas par la guerre"
Lundi 13 Octobre 2014 à 05:00 | Lu 20416 fois I 34 commentaire(s)

PROPOS RECUEILLIS PAR RÉGIS SOUBROUILLARD

Maître de conférences à Sciences Po et à l'ENA, ancien haut-fonctionnaire au ministère de la Défense, Pierre Conesa dit toute sa perplexité sur l'engagement de la France dans la "guerre" contre l'Etat islamique, la coalition baroque montée en urgence par les Américains avec l'Arabie Saoudite et le Qatar, l'attitude de la Turquie ainsi que l'inquiétude que lui inspire actuellement la politique étrangère de la France.

Chars turcs positionnés à la frontière avec la Syrie - SIPANY/SIPA
Chars turcs positionnés à la frontière avec la Syrie - SIPANY/SIPA


Marianne : La France est en « guerre contre le terrorisme », a déclaré plusieurs fois François Hollande, reprenant une expression popularisée par George W. Bush, mais il semble que la plus grande perplexité règne dans les milieux militaires sur les objectifs de cette guerre avec une zone conflictuelle qui va du Pakistan à la Guinée, un ennemi décidé à internationaliser l'affrontement et une campagne militaire qui se réduit à des frappes aériennes, sans parler de contraintes budgétaires. La France devait-elle, selon vous, entrer dans ce conflit ?  

 Pierre Conesa : Les militaires sont en train de rouler sur la jante, parce que nous avons rarement été confrontés à un champ d’intervention aussi large. Nous menons actuellement quatre guerres qui disent assez bien les contradictions de la coalition. 
Il y a la guerre des Turcs contre les Kurdes. C’est la priorité turque bien avant l’Etat islamique. 
 

La deuxième guerre, c’est une guerre entre sunnites et chiites. Neuf pays de la région sont déchirés par cet affrontement (L'Afghanistan, le Pakistan, la Syrie, l'Irak, le Yémen, Bahreïn, le Liban, la Somalie et même la Malaisie). C’est une guerre de religion et nous pensons que comme nous sommes une tierce partie, nous pouvons intervenir dans ce conflit. C’est une aberration intellectuelle. 
La troisième guerre qui est en train de s’ouvrir et qui est peut-être la plus « intéressante » c’est une guerre entre islamistes, il y a de plus en plus de dissidents ou d’anciens d’Al-Qaïda qui se rallient à l’Etat islamique, mais qui, de fait, suscitent une opposition forte des islamistes en place. Si j’étais complètement cynique — ou réaliste, c’est selon — je dirais que la solution, c’est de les laisser se massacrer entre eux. 
La dernière guerre enfin, c’est la guerre que les Occidentaux mènent contre les pays de la région : c’est d'ailleurs la quatrième guerre que les Etats-Unis mènent dans cette région. On voit aujourd’hui ce que ça donne : les Occidentaux sont devenus des cibles dans cette partie du monde et c’est le groupe islamiste qui coupera le plus de têtes qui remportera la partie sur le terrain médiatique. 
Ce que l'on peut dire et déduire, après avoir listé toutes ces guerres, c'est que chacun des participants a son agenda propre et inévitablement celui-ci entrera inévitablement en conflit avec l’agenda de la coalition.    

  

Les Etats-Unis ont monté dans l’urgence une coalition inédite et assez baroque avec notamment l’Arabie saoudite et le Qatar. Qu’est ce que vous inspire cette alliance improbable ?   

Le processus décisionnel est complètement irrationnel. Est-ce qu’il faut sauver le docteur Frankenstein. L’Arabie saoudite est largement responsable de ce qu’il se passe et on est en train de la défendre alors que c’est un Etat — là au sens strict du terme — qui applique les mêmes méthodes que l’Etat islamique. L’Arabie saoudite, c’est des dizaines de décapitations publiques chaque année, les femmes réprimées, l’interdiction de tout autre culte sur le territoire. C’est un exemple qui prouve que nous n’avons aucun objectif politique. Nous avons un objectif militaire qui est de réduire l’Etat islamique, ce sera très long et l'on ne peut pas espérer le réduire complètement sans troupes au sol. On est là face à une autre contradiction : les Occidentaux sont, pour l’instant, opposés à l’envoi de troupes sur le terrain. Mais qui va faire le boulot ? Qui peut penser que les Saoudiens vont envoyer des troupes pour défendre le régime chiite de Bagdad ? C'est impensable.  

  

Il était donc pour vous urgent de ne rien faire ?   

Une intervention militaire ne peut pas détruire autre chose qu’un Etat. Or, contrairement à ce que son nom indique, l’Etat islamique n’est pas un Etat. Nous sommes engagés dans une guérilla qui sera longue avec des alliés qui interviendront pour sauver ponctuellement des villes et d’autres qui laisseront tomber d'autres villes en fonction de leurs intérêts politiques et stratégiques.  

Nous sommes entrés dans ce conflit suite à l’émotion suscitée par la décapitation de certaines de nos ressortissants. Le pouvoir du politique, c’est quand même d’être courageux. La guerre d’Algérie a commencé suite à l’assassinat d’instituteurs, les époux Monnerot, qui venaient enseigner en Algérie. A partir de ce crime commis par le FLN, les perspectives d’un règlement politique de la guérilla menée par le FLN ont été enterrées. L’exécutif a commencé à déclarer : « l’Algérie c’est la France » ou encore « La négociation c’est la guerre ». Résultat, sept années de guerre, 120 000 hommes sur le terrain pour aboutir à l’indépendance de l’Algérie. C’est aux politiques de dire que les assassins seront punis mais que la guerre n’est pas une solution. Nous sommes en train de faire la même connerie que George Bush après le 11 septembre. 
Par ailleurs, aucun conflit n’a jamais été gagné par une campagne aérienne. Le Kosovo, c’est 2 500 frappes aériennes, la comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais si vous rapportez ça à la dimension des territoires conquis ou menacés par l’Etat islamique, ça vous donne une idée du temps que ça prendra de réduire le potentiel de cette organisation… 

La seule alternative, c’est une conditionnalité politique forte. Il faudrait afficher des objectifs clairs notamment vis-à-vis des pays qui ont donné naissance au salafisme, en particulier l’Arabie saoudite. On vous aide à vous sauver mais en retour vous acceptez la tolérance religieuse. D'ailleurs, comment voulez-vous justifier le fait de combattre des islamistes en s’alliant avec les soutiens historiques de ces islamistes ? 

  

Cela nous contraint à regarder l’Etat islamique avancer car malgré tout il conquiert des villes chaque jour…  

Ce que je veux dire, c’est que le terrorisme ne se combat pas par la guerre. Le terrorisme, c’est un concept. Notre ennemi, il faut le qualifier : c’est le salafisme djihadiste, c’est-à-dire l’idéologie qui s’est répandue à partir de l’Arabie saoudite pour combattre les frères musulmans. C’est un conflit interne au monde arabo-musulman. Quand il y a eu la guerre en Afghanistan, toute l’aide américaine passait par l’Arabie saoudite et les services secrets pakistanais. Une des conditions mises, à l’époque, par le prince Turki qui était chef des renseignements saoudiens, c’était que les madrasas pakistanaises (les écoles coraniques) enseignent l’islam hanbalite, c’est-à-dire l’islam que l’on retrouve en Arabie saoudite. C’est comme ça que l’on a créé les talibans et l'on n'a pas vu le coup venir. Le risque, c’est de repartir dans le même engrenage fatal.    

  

Comment comprenez-vous l’attitude des Turcs alors que le Kurdistan est en train de devenir un des enjeux majeurs du conflit ?  

Cette attitude de la Turquie traduit les fragilités de la coalition. La priorité de l’agenda turque c’est de se débarrasser du problème kurde plus que de se débarrasser de l’Etat islamique. Pour la Turquie, le premier danger terroriste, c'est le PKK mais la seule force kurde structurée est aussi le PKK. Les forces policières turques sont plus mobilisées contre les émeutiers kurdes que contre l’Etat islamique. La meilleure preuve, c’est que beaucoup de combattants qui ont rejoint l'Etat islamique sont passés par la Turquie — qui est certes une frontière difficile à surveiller — mais Ankara a laissé faire parce qu'ils cherchaient à faire tomber Assad, ce qui reste encore leur priorité. On est exactement dans le scénario de la coalition où deux alliés se battent entre eux et font encore le jeu de l'ennemi désigné. Cela traduit l’absence de consensus politique sur cette opération militaire.  

  

Vous pensez que la Turquie va donc laisser tomber la ville de Kobané ? 

La Turquie possède la deuxième armée conventionnelle de l’Otan, elle serait en capacité pour intervenir et sauver cette enclave. Or, elle ne le fait pas, bien qu’elle ait promis de s’engager. Kobané est la partie centrale du Kurdistan syrien. Si Kobané tombe, les populations seront poussées vers la Turquie, c'est pour cette raison que la Turquie demande une zone-tampon avant toute intervention armée, mais cela serait surtout le signe d'un net affaiblissement du PKK. Dans les faits, la Turquie et l'EI sont des alliés de circonstance. 

  

La réponse du politique à vos critiques consiste à dire que « la guerre que l'on mène là-bas, c’est une guerre que l’on mène aussi pour la sécurité de la France ». Vous n'êtes pas sensible à cet argument  ? 
Ce discours est désespérant de bêtise, car c’est le contraire qui se passe. En intervenant, en nous mêlant d’un conflit religieux qui ne nous concerne en rien, nous suscitons quasi-mécaniquement des vocations terroristes. C’est un basculement stratégique qu’il est aujourd’hui impossible de faire entendre à nos décideurs, compte-tenu de l’émotion suscitée par ces décapitations. En entraînant l’Occident dans la guerre, l’Etat islamique a obtenu ce qu’il voulait sans doute dès le départ. Et le piège s’est refermé. Aujourd’hui, nous ne savons pas comment mener cette guerre sans renforcer soit le régime syrien, soit le régime iranien. Nous leur rendons un sacré service car fondamentalement nous ne pouvons pas faire sans ces deux pays que Laurent Fabius avait mis sur sa liste noireJe vous avoue que je suis très inquiet quand je vois la politique étrangère que nous menons actuellement. 




http://www.marianne.net/Pierre-Conesa-Le-terrorisme-ne-se-combat-pas-par-la-guerre_a241877.html

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21 octobre 2014 2 21 /10 /octobre /2014 01:53
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Historic Palestine

Historic Palestine is located in the Middle East, in a region bordering Lebanon, Syria, Jordan, Egypt and the Mediterranean Sea. Muslims, Christians and Jews had lived alongside one another for centuries under the rule of the Ottoman (Turkish) Empire. There were growing calls for Palestinian independence during the nineteenth and early twentieth centuries from a population who, in 1914 were 84% Muslim, 11% Christian and 6% Jewish.

During the First World War, Britain pledged to support “complete and final liberation” for the people of the wider region in return for them rebelling against the Ottomans. In fact, they had secretly agreed to divide the area between themselves and France. Britain also promised the “establishment in Palestine of a national home for the Jewish people”. Britain occupied Palestine in 1917 and remained until 1948.

In 1947 Britain approached the newly founded and then Western-dominated UN to determine Palestine’s future. Despite the Jewish population only making up a third of residents, the report recommended creating a Jewish state on 56% of the land. The Palestinians refused to accept the partition of their homeland, yet in 1948 Israel was established unilaterally. By 1949, the Nakba (“catastrophe”) had resulted in the ethnic cleansing of two thirds of the Palestinian population, with Israel ruling over 78% of the land.

The West Bank and Gaza Strip have been under an illegal Israeli military rule since they were occupied in the 1967 war, and today are referred to as the “Occupied Palestinian Territories”. East Jerusalem was also annexed illegally by Israel in 1967. For over 60 years the Palestinians have been denied the right to self-determination and statehood.

 

The refugee issue

About 800,000 Palestinians were forced into exile in 1948-9 and during the June 1967 war a further 325,000 Palestinians became refugees. Under UN Resolution 194, the Palestinians have the right to return to their homes, but Israel has always refused to implement the Resolution. Today over 6 million Palestinians live as refugees, hundreds of thousands of whom still live in overcrowded refugee camps in the West Bank and Gaza, and in Lebanon, Syria and Jordan.

Life under occupation

The past 40 years have seen the establishment of over 200 illegal Israeli settlements, housing nearly 500,000 settlers, within the Occupied Territories. The ‘separation barrier’ in the West Bank, construction of which was started in 2002, cuts deep into Palestinian land and, along with the “settler only” roads, cuts off many communities from water supplies, hospitals and their agricultural land. The residents face severe travel restrictions and for many it is impossible to enter Jerusalem or to travel abroad. This treatment of the Palestinians, both within Israel and in the Occupied Territories, is widely recognised as a system akin to the Apartheid regime of South Africa.

Palestinians are continually under attack from the Israeli occupying forces and are increasingly harassed by settlers, who attack farmers and steal their land. Collective punishments, such as prolonged curfews and house demolitions are frequently imposed.

The Palestinians who remained in what is today the state of Israel, as non-Jewish members of a Jewish country, also face discrimination in all areas of Palestine and are considered to be second class citizens.

Further information

For more information on the historical background and the situation today, go to PSC’s factsheets>>

 

http://www.palestinecampaign.org/information/#sthash.cCpWrG6W.dpuf

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20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 01:54
Repenser de fond en comble la stratégie des Palestiniens

UN DIPLOMATE S’EXPRIME À COEUR OUVERT

   >  > 17 OCTOBRE 2014

Le 9 octobre, le nouveau premier ministre palestinien Rami Hamdallah est entré solennellement à Gaza, à la tête du nouveau gouvernement d’union nationale. Le 12 octobre au Caire, la conférence des donateurs a promis 4,3 milliards d’euros pour la reconstruction de la bande de Gaza, ravagée par 52 jours d’agression israélienne l’été dernier. Et le 13 octobre, le Parlement britannique a voté la reconnaissance de l’État palestinien, vote non contraignant pour le gouvernement du Royaume-Uni mais qui envoie un signal fort à Israël - trois députés français veulent suivre cet exemple. Le 3 octobre, le gouvernement suédois, lui, a annoncé sont intention de reconnaître formellement la Palestine.

La série d’avancées diplomatique obtenues par l’Autorité palestinienne, en moins de quinze jours, reste symbolique et fragile. Rien ne dit que le gouvernement d’union nationale, composé pour l’instant de «  technocrates  », aboutira à une véritable réconciliation politique entre l’Autorité palestinienne,l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Hamas. La reconstruction dépendra du bon vouloir des autorités israéliennes, qui ont obtenu le droit de veto sur chaque projet de réhabilitation. Et les progrès sur le front diplomatique restent du domaine du virtuel. Le blocus est loin d’être levé, comme l’avaient pourtant demandé tous les dirigeants palestiniens, de l’OLP au Hamas.

Ces petites avancées ne corrigent en rien les avertissements du diplomate palestinien Majed Bamya, le 15 septembre 2014 devant quelques dizaines de spectateurs rassemblés à l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). Ce haut fonctionnaire de 31 ans chargé du dossier des prisonniers a été l’une des voix de la Palestine pendant l’offensive contre Gaza. Il a acquis une célébrité instantanée le 28 août dernier en contrant vigoureusement un porte-parole israélien dans un débat sur la chaîne France 24. Partisan d’une communication«  agressive  » selon ses propres termes, cet homme au discours structuré en plusieurs langues, dont le français, n’épargne pas son propre camp. Fixant peu de limites à son franc-parler, il s’est donné la mission de dénoncer les faiblesses de son propre camp aussi bien que les calculs de l’adversaire.

Les positions palestiniennes après Gaza
iReMMO, rencontre avec Majed Bamya, 15 septembre 2014, animée par Dominique Vidal, journaliste et historien— YouTube

 

 

L’INDISPENSABLE UNITÉ NATIONALE

Ce nouveau langage a une limite : Majed Bamya avertit qu’il s’exprime en son nom propre, et non en tant que diplomate, prix de sa liberté de parole. Une liberté qu’il exerce pleinement. Pour les Palestiniens, tout reste à faire, affirme-t-il. L’urgence, c’est l’union politique pleine et entière. «  La concurrence politique doit cesser, le Hamas a le droit d’avoir son siège à l’OLP  », l’OLPqui représente tous les Palestiniens, des territoires occupés et de la diaspora, et qui rassemble le Fatah et plusieurs autres partis. Le Hamas n’en fait pas partie. Il faut l’y admettre, et sans conditions, dit le diplomate : «  il n’a pas à payer pour cela  ». Les différences dans les positions politiques ne peuvent servir de prétexte à repousser un rapprochement indispensable selon lui. Le Hamas et le Fatah ne sont pas d’accord sur plusieurs points fondamentaux  ? Ce n’est pas un problème, dit l’électron libre, qui donne en exemple les débats au sein de l’OLP avant les accords d’Oslo : le Front de libération de la Palestine (FPLP) n’était pas d’accord, il s’est plié à la volonté de la majorité. «  Après, ils sont restés opposés à ces accords, ils ont continué à exprimer leur opposition, mais ils l’ont fait dans un cadre responsable  ».

Assez, plaide Majed Bamya, de cette atmosphère de méfiance où«  chacun doute de l’autre  » et «  cherche à nouer des alliances internationales alors que la seule alliance qui compte c’est l’alliance nationale  ». Allusion qu’il décode lui-même en évoquant les rumeurs voulant que le Hamas cherche à se rapprocher des États-Unis en vue de nouer des négociations spécifiques.

Ces divisions, constate-t-il avec une certaine amertume, font le jeu d’Israël, et les stratégies de l’un et de l’autre lui semblent toujours aller dans des directions divergentes. Seule solution, répète Bamya, une véritable unité nationale. Depuis, le Hamas a certes semblé faire un pas dans cette direction en acceptant de transmettre le pouvoir à Gaza au gouvernement d’union nationale. Mais s’il se retire — pour le moment — en tant que gouvernement séparé de la bande de Gaza, le Hamas reste ce qu’il est au premier chef : un puissant mouvement politico-militaire qui n’a pas l’intention de désarmer. Et qui reste aussi en dehors du rassemblement politique des Palestiniens au sein de l’OLP.

LA COORDINATION SÉCURITAIRE, UN JEU DE DUPES

L’usage des armes n’est pourtant pas un tabou pour Majed Bamya. S’exprimant toujours à titre personnel, il ne craint pas de dénoncer la coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et Israël. L’Autorité n’a rien à gagner dans ce qu’il considère comme un jeu de dupes. Elle dit qu’elle protège les Palestiniens, explique-t-il, mais «  ma position personnelle, c’est que cette coordination n’a pas de sens tant qu’il y a incursions et arrestations  ». Logique au début des accords de paix, ajoute-t-il,«  elle ne l’est plus maintenant qu’il est évident que nous n’avons pas de partenaire  ».

Le diplomate s’explique d’ailleurs sur le fond. Pour lui, «  partisan de la non-violence avant l’agression de Gaza  », les Palestiniens«  n’ont pas à assurer la sécurité de la puissance occupante, et la résistance est légitime  » tant qu’elle ne vise que des soldats et exclut les civils. Bamya n’hésite d’ailleurs pas à citer comme exemple le Général de Gaulle, Jean Moulin et le Front de libération nationale (FLN) algérien. On reconnaît là la doctrine de Marwan Barghouti, l’un des principaux leaders de la deuxième intifada, arrêté par Israël le 15 avril 2002 et condamné à la prison à perpétuité. Barghouti, dont Bamya est proche, recommandait que la résistance «  marche sur deux jambes  », celle des armes et celle de la négociation. Une vision qui n’est certes pas celle de Mahmoud Abbas aujourd’hui, mais qui semble gagner du terrain chez les jeunes Palestiniens exaspérés par l’absence de perspective politique.

POUR UN RÉVEIL DIPLOMATIQUE

Les reproches du jeune diplomate à l’Autorité palestinienne ne se limitent pas aux relations avec Israël. Il accuse sa direction d’une certaine inertie diplomatique, ce qui peut paraître paradoxal au vu des derniers succès internationaux remportés par les Palestiniens, de l’admission à l’ONU aux récentes reconnaissances de la Suède et du Parlement britannique. Mais ces réussites, affirme-t-il, masquent l’absence de vision à long terme, alors qu’Israël déploie une stratégie «  Israël investit dans sa relation avec la Russie, avec les Kurdes, avec la Chine…Elle a investi en Afrique à un point que vous ne pouvez pas imaginer. L’Afrique, (qui fut) notre terrain de prédilection...  ».

Rien de tout cela chez les Palestiniens, qui selon lui se reposeraient sur leurs lauriers en se réjouissant des 138 voix obtenues à l’ONU pour sa reconnaissance. «  Israël regarde vers l’avenir et nous, nous sommes fiers de notre passé  ». Majed Bamya plaide alors pour une diplomatie professionnelle, dont on comprend bien que pour lui, elle reste à construire. Il faut, par exemple, travailler les liens avec l’Allemagne, dit-il en choisissant l’exemple le plus épineux pour les Palestiniens. Bien sûr, l’Allemagne est astreinte par son passé à prendre des positions pro-israéliennes, mais cela ne durera pas toujours. Il faut donc selon lui «  travailler maintenant pour récolter dans dix ans  ». Un plaidoyer pro domo  ? Dans dix ans, Majed Bamya n’aura que 41 ans.

HTTP://ORIENTXXI.INFO/LU-VU-ENTENDU/REPENSER-DE-FOND-EN-COMBLE-LA,0725

 

 

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24 septembre 2014 3 24 /09 /septembre /2014 02:00

Luizard : «Nous sommes tombés dans le piège tendu par l’État islamique»


21 septembre 2014 | Par Thomas Cantaloube - Mediapart.fr

Alors que les bombardements aériens français ont débuté en Irak et que des dizaines de milliers de Kurdes syriens cherchent refuge en Turquie, le chercheur Pierre-Jean Luizard remet en perspective la récente histoire de l'Irak. Pour souligner les errements de la politique communautariste chiite-sunnite menée depuis 2003. Et pour déplorer l'absence de propositions politiques pouvant enrayer la surenchère guerrière.

Les Occidentaux, dont la France, et un certain nombre de pays arabes ont déclaré la guerre à l’État islamique, et entamé une campagne de bombardements aériens. L’État islamique, parfois appelé Daech, est devenu le nouvel épouvantail contre lequel tout le monde est sommé de se mobiliser : au nom de la lutte antiterroriste, au nom de la cruauté affichée par les djihadistes, au nom de la stabilité de la région…

Mais en intervenant de cette manière, et sans quasiment aucune préparation politique pour « l’après-Daech », ne se condamne-t-on pas à répéter les erreurs déjà commises dans le passé récent ? Pour nous éclairer sur ce baril de poudre qu’est devenu l’Irak, et pour remettre en perspective les événements de ces dernières semaines, nous avons interrogé Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de ce pays ainsi de que l’islam. (Pour un certain nombre de notions de base à propos de l’Irak, on peut se référer à l’onglet Prolonger.)

Pierre-Jean Luizard. © Reuters

 

Mediapart. Dans l’émergence et les victoires de l’État islamique en Irak, quelle est la part de la motivation religieuse et la part de revendication politique contre la gestion du gouvernement central ?


Pierre-Jean Luizard. Cette question renvoie à une différence entre politique et religion telle qu’elle s’est institutionnalisée en France depuis maintenant plus d’un siècle, mais qui n’est pas la même dans les pays musulmans et en particulier en Irak. L’islam dans les pays arabes du Moyen-Orient n’est pas une simple spiritualité, et la politique n’est pas, loin s’en faut, indépendante de la religion. La direction religieuse chiite a une longue tradition d’intervention dans les affaires politiques. Des oulémas (théologiens), des grands ayatollahs ont dirigé les  mouvements de lutte contre la mainmise européenne sur les économies d’Iran et de l’empire ottoman, mais aussi contre les occupations durant de la Première Guerre mondiale : en 1914-1918, de grands ayatollahs se sont transformés en chefs de guerre. La révolution de 1920 contre le mandat britannique a été dirigée également par un grand ayatollah chiite.

On n’a pas la même histoire : l’histoire de l’islam n’est pas identique à l’histoire du catholicisme ou du protestantisme. L’islam en particulier a joué un rôle de mobilisation dans les luttes anticoloniales et cela a été particulièrement vrai en Irak. On a souvent cette vision réductrice et fausse de la religion et du politique, qui se manifeste dans la dichotomie que l’on fait faussement entre islam et islamisme.

Dans le dictionnaire, il est écrit « l’islamisme désigne l’islam politique ». Mais non ! Le mot « islamisme » a été utilisé il y a plusieurs siècles par Voltaire comme un synonyme d’islam. Puis c’est dans les années 1970 que Bruno Étienne et Gilles Kepel ont commencé à parler d’islamisme, pas pour cibler l’islam politique mais pour montrer qu’il y avait un processus de sécularisation de la religion et d’idéologisation de la religion. C’est-à-dire que l’islam devenait un langage politique et social. Cet islam qui ne serait pas politique n’existe que dans les désirs des puissances coloniales, notamment de la France, qui a toujours vu la religion comme quelque chose qu’il fallait contrôler, et qui a promu cette image d’un islam apolitique.

Il n’y a donc pas de séparation, en contexte chiite ou sunnite, entre religion et politique. D’autant moins que les systèmes politiques fondés par la Grande-Bretagne en 1920 et par les États-Unis en 2003 étaient assis sur un système communautaire à la libanaise, mais inavoué. Aux débuts de l’État irakien, on ne parle pas de chiites et de sunnites, mais une fois la défaite du mouvement chiite consommée en 1925, c’est bien un État sunnite qui s’est mis en place avec un certain nombre d’élites militaires issues des confréries soufies, et d’anciens fonctionnaires de l’Empire ottoman qui ont monopolisé le pouvoir et exclu les trois quarts de la population chiite et kurde.

 

En 2003, les Américains ont pris les exclus de l’ancien système et c’est ce tandem chiito-kurde qui s’effondre aujourd’hui.

C’est ce contexte historique communautaire et communautariste qui est aujourd’hui au cœur des enjeux. C’est religieux ET politique. L’identité religieuse est une appartenance qui, en Irak aujourd’hui, est devenue hélas la plus importante. Beaucoup de mes amis qui étaient des militants de la gauche laïque, communiste ou baasiste, avaient oublié qu’ils étaient sunnites ou chiites. Désormais, ils ne peuvent plus ignorer une appartenance à laquelle le système politique en place les a assignés.

 

Est-ce que ce système de quotas communautaires non avoués, instauré par les Américains, n’est pas la faille originelle qui aboutit à la situation actuelle ?

Le premier État irakien a été construit contre la société irakienne, y compris contre les Arabes sunnites qui, à la fin du régime de Saddam Hussein, ont été à leur tour soumis à la répression. Mais si les grandes puissances avaient laissé les Irakiens livrés à eux-mêmes, ce système se serait effondré à la fin des années 1970. Il y avait à l’époque une guerre civile larvée entre le parti Baas et le mouvement religieux chiite, avec les Kurdes et avec le parti communiste irakien. Ce système confessionnel a été sauvé par la fuite en avant de Saddam Hussein et de sa guerre contre l’Iran. Il a exporté hors des frontières une lutte qui était intérieure.

En 2003, les Américains se sont retrouvés face aux mêmes enjeux que les Britanniques en 1920. Dans la société irakienne, dans le contexte d’une occupation étrangère, on ne peut pas s’adresser aux électeurs sur des bases citoyennes. Il y a des réflexes primaires, claniques, tribaux, locaux et communautaires, qui l’emportent. Les Américains n’ont pas sciemment tenté de reconstruire l’Irak sur des bases confessionnelles, mais c’est la réalité qui s’est imposée à eux dans un contexte d’occupation. Ils auraient très bien pu essayer de ressusciter un leadership sunnite, mais le traumatisme de la chute de Saddam Hussein pour ces derniers a fait que les Américains ont été contraints de s’adresser à l’opposition.

Ils ont mis en place ce système des quotas, avec un président kurde et deux vice-présidents sunnite et chiite, un chef de gouvernement chiite et deux vice-chefs de gouvernement kurde et sunnite, un chef du parlement sunnite et deux vice-présidents chiite et kurde, et ainsi de suite dans tous les ministères…

Un système à la libanaise

Les choses sont ainsi divisées à l’infini pour tenter de représenter les trois communautés. Mais à la différence de 1920, le paradoxe est qu’il est plus facile pour une puissance d’occupation étrangère de diriger le pays à travers une minorité qu’à travers une majorité. Le système politique fondé par les Britanniques a tenu 80 ans, même s’il était en fin de course, alors que le système fondé par les Américains a mis moins de dix ans à s’effondrer.

Le vice de ce système, c’est qu’il y a toujours des exclus. Quand Laurent Fabius dit : « Il faudrait que le gouvernement irakien ait une politique inclusive », il ne se réfère pas à la réalité du système politique en place aujourd’hui, dans la mesure où les bases communautaires condamnent les différents acteurs à avoir la place de leur poids démographique.

C’est en raison de cette confusion entre majorité démocratique et majorité démographique qu’on a abouti au sentiment justifié des Arabes sunnites de perte de leur « irakité ». Traditionnellement, les chiites en Irak, où ils sont majoritaires, sont beaucoup plus attachés aux idéologies qu’on appelle « irakistes », par contraste avec les idéologies nationalistes arabes (qui font des chiites une minorité dans un monde arabe sunnite).

Mais dans le système actuel, les Arabes sunnites n’ont pas d’autre perspective que de demeurer une minorité sans ressource et sans pouvoir. Ils se détournent aujourd’hui de l’État irakien pour regarder vers leurs frères en arabité et en islam, de l’autre côté de la frontière, en Syrie, avec lesquels ils sont souvent liés tribalement et familialement. Cette frontière est totalement artificielle. D’ailleurs, une des premières actions de l’État islamique après l’effacement de la frontière dite « Sykes-Picot », a été d’établir une province à cheval sur la Syrie et l’Irak.

Le système que les Américains ont légué aux Irakiens est un système à la libanaise, même si rien n’est dit de ce genre dans la Constitution. Les tentatives de sortir du confessionnalisme, qui avaient recueilli la majorité des suffrages des Irakiens lors de la dernière élection, notamment le parti de l’État de droit de Nouri al-Maliki et al-Iraqiya de Iyad Allawi, n’ont pas fonctionné. Les sunnites sont sortis de leur boycott et ont voté massivement pour al-Iraqiya, qui est devenu une liste sunnite. Et Nouri al-Maliki a regagné le giron de la maison commune chiite. Donc c’est bien un système communautariste et confessionnaliste qui échoue aujourd’hui et qui explique l’effondrement de l’État irakien.

Barack Obama reçoit Nouri al-Maliki en juillet 2009. © Pete Souza/Maison-Blanche

 

Vous dites que Maliki voulait sortir de ce système confessionnaliste, et pourtant c’est à lui que l’on fait porter le chapeau de l’effondrement.

C’est vrai qu’on l’accuse de tous les maux, d’autoritarisme et de sectarisme. Mais Maliki ou un autre, cela aurait été la même chose. Ce ne sont pas les hommes qui sont importants. Maliki s’est fait élire à la tête du parti de l’État de droit, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire, sur la promesse de la fin des quotas et de la fin du confessionnalisme qui a causé tant de morts, notamment durant la guerre civile de 2005 à 2008.

Mais dans le contexte des institutions actuelles, votées sous un régime d’occupation étrangère, la classe politique a été élue et renouvelée sous ce régime. Dans un tel système, les élus ne sont pas libres. S’ils veulent garder leur poste, ils doivent obligatoirement satisfaire un certain nombre de réseaux clientélistes qui les ramènent à des solidarités locales. Dans ce système, tout ce qui est donné à d’autres, en termes de financement ou d’infrastructures par exemple, est perçu comme étant en moins pour soi. Si Maliki n’a pas répondu aux attentes majoritaires de la population, c’est très largement à cause des institutions. Voulant conserver le pouvoir, et ne pouvant pas compter sur les sunnites, il a dû revenir dans le bercail des partis religieux chiites.

Les sunnites, eux, se souviennent qu’ils ont eu le monopole de l’État depuis toujours et qu’ils sont majoritaires au-delà des frontières de l’Irak. Si la seule solution qu’on leur propose est de rester une minorité sans ressource ni pouvoir, l’État islamique leur apparaît comme une meilleure solution.

 

Comment expliquer la rapidité avec laquelle l’État islamique a émergé ?

Les Arabes sunnites d’Irak ont tenté d’utiliser les printemps arabes et, par mimétisme, de faire valoir leur volonté de réforme. Il y a eu l’illusion parmi de nombreux Arabes sunnites qu’ils pouvaient trouver leur place dans ce système moyennant un certain nombre de réformes qu’ils ont demandées à Maliki, sans voir que celui-ci était coincé par sa base électorale et qu'il ne pouvait pas les satisfaire.

Il y a eu un mouvement de protestation pacifique au début, avec des sit-in, et les djihadistes n’ont connu leur essor rapide qu'à partir du moment où la force armée a été massivement employée. D’abord contre Falloujah (tombée aux mains de l’État islamiste en janvier 2014), et ensuite contre ces mouvements protestataires pacifiques, avec l’utilisation de méthodes dignes du gouvernement syrien de Bachar el-Assad avec bombardements de quartiers d’habitations, d’hôpitaux…

Fort de la faiblesse de ses adversaires

À partir de ce moment-là, il y a eu un renversement de tendance. Les leaders locaux, qui sont ceux qui comptent, les chefs de tribu, de clan et de quartier, ont réalisé que leur tentative d’intégration était un échec. Le seul protagoniste qui leur faisait une offre politique, d’autant plus alléchante qu’il proposait de leur donner le pouvoir local, était l’État islamique. Du coup, il l’a emporté très rapidement.

L’État islamique a expérimenté à Falloujah un nouveau mode de domination sur les villes, à savoir de remettre le pouvoir entre les mains des acteurs locaux. À Falloujah ou à Mossoul, les djihadistes n’ont occupé la ville que quelques jours, avant de remettre le pouvoir à des milices locales dépendant de chefs de quartier, moyennant un certain nombre de conditions d’allégeance envers l’État islamique. Les miliciens de l’État islamique sont en dehors de ces villes.

Il est vrai aussi que l’armée irakienne s’était comportée, notamment à Mossoul, comme une armée d’occupation. Cela explique que l’arrivée des djihadistes ait été considérée comme une libération pour beaucoup de gens, même si certains ont préféré fuir. À cela il faut ajouter la duplicité des dirigeants kurdes, qui n’ont pas toujours été ce rempart contre les djihadistes que l’on veut faire valoir aujourd’hui.

Je le sais de source sûre : il y a bien eu un marché entre les Kurdes et l’État islamique qui prévoyait le partage des territoires conquis sur l’armée irakienne, les Kurdes s’octroyant une partie des territoires disputés et Kirkouk, et les djihadistes ayant Mossoul et d’autres territoires. À partir de juillet, au moment où l’avancée des djihadistes vers Bagdad a été arrêtée par les milices chiites et l'armée, les djihadistes ont rendu les Kurdes responsables de l’échec de leur plan commun de prendre Bagdad en tenaille, et l’accord a été dénoncé. Il y a eu une convergence d’intérêts manifeste avant que les deux protagonistes n’en viennent à se combattre.

Images de l'exécution de soldats de l'armée irakienne par l'État islamique

 

L’État islamique n’est pas une entité monolithique. Jusqu’à quand peut-il tenir ?

Il y a une trentaine de milliers de combattants irakiens, arabes et étrangers non arabes. En Irak, cela regroupe l’immense majorité du spectre salafiste, mais aussi de la branche irakienne d’Al Quaïda. Il n’y a pas en Irak de dichotomie comme en Syrie entre Jabhat al-Nosra et l’État islamique. Il y a ensuite une alliance avec d’autres groupes irakiens très différents.

La base militaire la plus importante est celle des tribus et, pour les villes, des chefs de quartier et de clan. Et puis il y aussi l’ex-leadership militaire de l’ère Saddam Hussein, qui avait déjà commencé à l’époque de la guerre Iran-Irak sa conversion vers un islam militant, par haine de l’Iran et des chiites. Même si l'on se souvient que dans sa jeunesse il avait fait profession de foi laïque, Saddam Hussein n’a pas été le dernier à utiliser la rhétorique sunnite et islamique de façon croissante contre ses ennemis chiites.

Tous ces groupes-là ont des intérêts qui, aujourd’hui, convergent, parce qu’on est dans un contexte d’effondrement de l’État. Finalement, l’État islamique est surtout fort de la faiblesse de ses adversaires. Toute sa rhétorique transfrontalière et transnationale qui, au début, paraissait chimérique, considérant qu’elle incluait d’anciens dirigeants de l'armée irakienne, a pris corps. Cette alliance est indéfectible tant qu’il n’y aura pas en face des propositions politiques qui pourront dissocier les Arabes sunnites. On ne leur fera pas une seconde fois le coup des conseils Sahwa (des miliciens sunnites payés et armés par les Américains pour combattre Al Qaïda dans la province d’Anbar à partir de 2007).

Il y a un an, l’État islamique était un groupuscule. Il a réussi sa progression fulgurante grâce à l’effondrement des institutions locales, et grâce au fait qu’il a établi avec des alliés locaux une alliance indéfectible. Mais aussi parce qu’en face, il n’y a aucune autre proposition. C’est la très grande faiblesse de la conférence internationale qui a eu lieu à Paris début septembre 2014 : elle ne propose qu’un volet militaire, incomplet parce que sans troupes au sol, et sans aucun volet de proposition aux Arabes sunnites. Il faudrait offrir quelque chose à destination de toute la population qui se sent exclue aujourd’hui, qu'elle trouve un intérêt à se dissocier des djihadistes. Mais jusqu’à présent, hormis quelques accrocs avec certaines tribus, plus en Syrie qu’en Irak d’ailleurs, il y a une forte unité. On a vu au mois de juillet un très grand rassemblement à Mossoul de tous les dirigeants locaux de la ville : ils se sont jurés fidélité sur un certain nombre de principes, dont celui de ne jamais autoriser le retour de la police ou de l’armée irakiennes dans la ville.

 

Qu’est-ce que l'on sait du soutien des populations à l’État islamique dans les zones qu’il contrôle ?

C’est une zone qu’il est pratiquement impossible de pénétrer. Par exemple, au lendemain de l’occupation de Mossoul par les miliciens de l’État islamique, entre le quart et le tiers de la population est parti. Ceux qui sont restés étaient dans l’attentisme. Mais les djihadistes ont appliqué en Irak la politique déjà pratiquée en Syrie (à Racca et à Deir ez-Zor), c’est-à-dire assurer un certain nombre de services publics que l’État irakien avait abandonnés.

Aujourd’hui, les marchés sont totalement approvisionnés, il n’y a plus de pénuries, qui étaient parfois organisées par le gouvernement irakien pour punir telle ou telle population. Le racket a totalement disparu. Circuler dans Mossoul est extrêmement facile alors qu’avant il y avait partout des check-points de l’armée irakienne, qui se conduisait comme une armée d’occupation. Il y a eu des exécutions publiques d’anciens agents qui avaient pratiqué la politique de racket et de pénurie.

L’État islamique a compris qu’il devait rendre le pouvoir à des acteurs locaux et qu’il devait assurer les services publics minimaux, et être sans concession par rapport à la corruption. Les prix ont baissé d’une façon incroyable sur les marchés de Mossoul.

La stratégie de terreur de l’État islamique

Il y a évidemment un revers de la médaille aux conditions du retrait des djihadistes de la ville : les populations ne doivent utiliser que les emblèmes de l’État islamique, il y a des ordres vestimentaires stricts, et il y a une répression sans pitié pour les adversaires de l’État islamique. Mais on ne connaît pas très bien la vérité, car il y a un parti pris de l’État islamique de jouer sur une communication de la terreur.

Cette terreur existe certainement, mais on ne sait pas si tout ce que l’on reproche à l’État islamique est vrai, ou si c’est une façon de maintenir une emprise sur des populations hésitantes. Il y a par exemple eu la rumeur que l’État islamique avait ordonné l’excision des femmes : c’était faux.

 

Pourquoi cette stratégie de communication de la terreur ?

Il y a une stratégie consciente et délibérée de la part de l’État islamique à travers cette succession d'exécutions par décapitation, très largement médiatisées. Il s’agit de traumatiser les opinions occidentales qu’ils connaissent bien, car un nombre important de combattants sont originaires de nos pays, sachant que cela obligerait nos dirigeants politiques à faire ce qu’ils ont fait, c’est-à-dire déclarer la guerre à l’État islamique sous le coup de l’émotion et du choc des images. Sans même prendre le temps de développer une stratégie politique pour accompagner une stratégie militaire, dont le couplage est seul capable de vaincre l’État islamique.

Nous sommes tombés dans le piège puisque l’État islamique apparaît aujourd’hui aux yeux des autres djihadistes comme le principal groupe : la prétention califale d’Abou Bakr al-Baghdadi prend toute sa dimension dans le fait qu’il est à la pointe du combat contre « les croisés ». J’en veux pour preuve ses appels à ne plus se combattre entre djihadistes de différentes obédiences et à venir apporter leur aide à l’État islamique.

On sait aussi que le début des frappes aériennes a correspondu à un soutien accru au Moyen-Orient, et au-delà, à l’État islamique, en argent et en afflux de combattants. C’est avéré à la frontière turque où le nombre de personnes essayant de s’infiltrer a été multiplié par dix depuis le début des frappes américaines. Sur le plan local, il s’agit de mener une politique « main de velours dans un gant de fer », c’est-à-dire à la fois services publics minimaux et politique de la terreur, qui dissuade les éventuels rebelles à l'autorité de l’État islamique de se manifester.

Des peshmergas observent le résultat d'une frappe aérienne américaine avec le drapeau kurde dans leur dos © Azad Lashkari/Reuters

 

Est-ce qu’on n'est pas en train de créer une future poudrière en armant les combattants kurdes, sachant que les dirigeants kurdes souhaitent un État indépendant ?

C’est le dilemme actuel des dirigeants occidentaux : il y a une urgence à contrer l’avancée fulgurante de l’État islamique et, dans ce contexte, les deux seules forces disponibles sont les peshmergas d’un côté et l'armée irakienne de l’autre. Or le problème vient du fait que ces deux forces ont été les premiers fossoyeurs de l’unité irakienne et les premières qui ont contribué à créer la dissidence des Arabes sunnites.

On imagine mal les Kurdes, obsédés par le Grand Kurdistan, rentrer gentiment dans leurs trois provinces après avoir récupéré un certain nombre de territoires disputés. Ailleurs, les villes qui ont été reprises par l’armée irakienne ne l’ont été que parce que c’étaient des villes qui n’étaient pas peuplées majoritairement par des sunnites, mais qui étaient soit turkmènes-chiites soit kurdes-chiites.

On voit bien le cercle vicieux quand Fabius dit : « Nous voulons venir en aide à l’Irak Mais quel Irak, sachant qu’il n’y a plus d’État irakien et qu’un certain nombre de gens ne se sentent plus irakiens ? Les Kurdes vont vouloir être payés de retour pour le « service » qu’ils ont rendu aux pays occidentaux. Et ce retour ne peut être qu’une reconnaissance de leur indépendance et de leur annexion de territoires disputés. Du point de vue du gouvernement de Bagdad, on parle de venir en aide aux peshmergas comme si l'on avait pris acte du fait qu’ils n’étaient plus irakiens.

On est dans un cercle vicieux où, quoi qu’on fasse, on est entraîné dans la spirale communautaire et confessionnelle. Je crains que ce plan n’ait été celui de l’État islamique : nous entraîner dans une lutte confessionnelle où nous n’avons rien à faire, pour nous faire apparaître comme les ennemis de l’islam sunnite.

 

Pensez-vous que le nouveau gouvernement irakien qui a succédé à Maliki puisse faire des propositions politiques et tendre la main à certaines composantes de l’État islamique ?

Non, je crois qu’on ne leur fera pas une seconde fois le coup des conseils de Sahwa. S’il s’agit de pratiquer les politiques des Américains à partir de 2005, à savoir appâter des tribus sunnites avec de l'argent et de l’armement, alors l’État islamique nous bat, et il bat surtout les chiites. Il dispose d’un capital financier illimité. Encore une fois, le problème est politique. Il y a un processus de confessionnalisation des sunnites, qui est tout à fait nouveau, qui fait que les retournements tribaux sont beaucoup plus difficiles. Il y a désormais une conscience politique sunnite qui a émergé et qui explique qu’il y ait très peu de retournements : les enjeux sont toujours locaux, mais ils sont directement liés à des enjeux transnationaux.

Il y a un an, les Arabes sunnites d’Irak ne considéraient pas la frontière syro-irakienne comme devant être effacée, alors qu’aujourd’hui le discours transnational de l’État islamique rencontre un immense écho auprès d’une population qui ne veut pas avoir l’avenir qu’on lui promet dans le cadres des institutions irakiennes.

L’État irakien ne peut pas se réformer parce qu’il est bâti sur des bases confessionnelles et que chaque politicien est prisonnier d’une base électorale locale, régionale et confessionnelle et il ne veut pas perdre son mandat. On nous a dit que Maliki était parti, mais on l’a récemment vu siéger derrière son successeur Haïder al-Abadi lorsqu’il a reçu des ministres européens et arabes. On se demande ce qu’il faisait là. Al-Abadi apparaît comme un clone, non pas tant de Maliki que d’un système politique qui ne peut pas se réformer.

Ce qu’il aurait fallu faire lors d’une conférence internationale, c’est coupler l’action sur le terrain, qui ne devrait pas se limiter à des frappes aériennes, mais devrait inclure des actions au sol qui ne peuvent pas être le fait de l’armée irakienne et des Kurdes qui sont les protagonistes de la crise, à des solutions politiques. Il faudrait que ce soient des troupes onusiennes qui interviennent, afin de créer les conditions propices à une vaste consultation de la population sous l’égide de l’ONU avec des questions comme celles que les Irakiens se sont déjà vu poser lors d’un référendum en 1918 : « Dans quel État voulez-vous vivre ? Voulez-vous vivre dans l’État irakien et avec quelle frontière ? Et sinon, quel entité souhaitez-vous rejoindre ? » Et contrairement à ce qui a été fait en 1918, il faut que la communauté internationale s’engage à respecter ce choix.

Il y a un choix auquel on n’échappera pas, c’est l’indépendance du Kurdistan. Mais si les arabes sunnites tournent le dos à l’Irak et disent : «Nous voulons l’union avec nos frères de la vallée de l’Euphrate en Syrie », il faudra respecter leur choix. Si les États de la région ont aussi facilement accueilli des régimes autoritaires, et pendant aussi longtemps – en Irak, en Libye, en Syrie… – c’est aussi parce qu’il s’agissait de créations coloniales artificielles qui ont séparé des populations, et qui ont surtout manifesté la trahison, par les alliés, des promesses qu’ils avaient faites aux Arabes d’un royaume unifié.

 

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/210914/luizard-nous-sommes-tombes-dans-le-piege-tendu-par-l-etat-islamique

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24 septembre 2014 3 24 /09 /septembre /2014 01:54
En silence, les armes allemandes à la conquête du Proche-Orient

ORIENT XXI MAGAZINE MARC CHER-LEPARRAIN > 19 SEPTEMBRE

L’Allemagne, réputée pacifiste, est le sixième exportateur d’armement au monde. Avec le temps, sa politique en la matière a évolué et contourne les limites européennes, l’objectif étant de rejoindre le peloton de tête des plus gros fournisseurs. Sans souci des droits humains. Ainsi Berlin vend des armes à l’Arabie saoudite et à l’Égypte. Et aussi à Israël : elle est son second fournisseur d’armement et d’équipement militaire, derrière les États-Unis.

Char Leopard 2 A7 (Krauss-Maffei) au salon de l'armement Eurosatory, 2010.
AMB Brescia, 18 juin 2010.

En 2013, l’Allemagne était le sixième exportateur mondial d’armements, juste après la Russie, les États-Unis, la Chine, la France et le Royaume-Uni. Elle est dans le même temps au septième rang des budgets militaires, derrière ces mêmes cinq pays plus l’Arabie saoudite, grande consommatrice d’armements. Si la place de l’Allemagne au cœur de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) explique son important budget militaire, l’entretien d’une industrie d’armement très développée est moins connu, ainsi que sa qualité de grande vendeuse d’armes. Cela vient contrecarrer certaines idées reçues sur ce pays réputé depuis 1945 pour son comportement pacifiste et, à l’image du Japon, loin de toute politique militaire tournée vers l’extérieur depuis le désastre de la seconde guerre mondiale. Le principe selon lequel l’Allemagne s’interdit de vendre des armes ailleurs qu’au sein des pays de l’OTAN, et en aucun cas à des pays non formellement alliés et en crise, est battu en brèche.

La réduction des budgets militaires européens, à commencer par celui de l’armée nationale, la Bundeswehr — et notamment la perte du client grec en grave crise économique — a en effet poussé les industriels allemands de l’armement à promouvoir un élargissement de leur clientèle étrangère. Rheinmetall (canons), Krauss-Maffei (chars, blindés divers), ThyssenKrupp (sous-marins), Diehl BGT (missiles, munitions diverses) et MTU(moteurs) exportent tous en dehors de l’OTAN, avec l’autorisation du Parlement, du Conseil fédéral de sécurité et surtout avec l’appui actif de la chancelière Angela Merkel. Qui sait que l’Allemagne est actuellement le premier exportateur mondial de sous-marins, et le second pour les chars juste après la Russie  ? La baisse des ventes d’armes depuis 2010, qui ne représentent pourtant que 1 % des exportations, a poussé Berlin à ouvrir davantage l’éventail de ses clients, en particulier au Proche-Orient. Nous sommes alors en plein Printemps arabe.

TRANSFERTS D’ARMES DIRECTS ET INDIRECTS À ISRAËL

En dehors de l’OTAN, un pays a cependant toujours fait exception aux règles d’exportation d’armements allemands : Israël, avec qui l’Allemagne entretient une relation encore déterminée par le poids de son héritage nazi. Dans le domaine de l’armement, les livraisons, d’abord modestes dans les années 1960, ont augmenté au début des années 1970, notamment après le virage français provoqué par la réaction du président Charles de Gaulle à la guerre de juin 19671. Elles deviennent encore plus importantes à partir des années 1990, avec la livraison des premiers sous-marins.

Les contrats directs ne représentent toutefois pas la totalité des transferts d’armes allemandes vers Israël. Une partie en effet est d’abord exportée vers les États-Unis qui les livrent alors à Israël en les incluant dans l’enveloppe annuelle des 3 milliards de dollars d’aide militaire qu’ils lui octroient chaque année via la procédure du Foreign Military Financing (FMF)2. Ce lien germano-israélien est marqué par la repentance envers une victime passée, est cependant à relativiser en volume. Si l’Allemagne fournit 16 % des importations israéliennes d’équipements militaires à côté des 84 % restants qui proviennent des États-Unis, ces exportations ne représentent que 4 % en moyenne de ses exportations totales d’armements sur ces dix dernières années. Outre la filière via les FMF américains pour une partie d’entre elles, une autre partie non négligeable est financée directement par l’Allemagne dès lors que la facture du contrat est élevée. C’est le cas notamment des sous-marins, dont le tiers du coût d’acquisition par Israël est encore assumé par le budget allemand, après l’avoir été jusqu’à la moitié pour les premiers exemplaires livrés. Outre les sous-marins, la panoplie exportée vers Israël inclut essentiellement des moteurs pour chars, navires de guerre et avions, des avions de reconnaissance ainsi que des missiles sol-air Patriot de seconde main d’origine américaine.

LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES D’ABORD

En juin 2011, la décision des autorités fédérales allemandes — non sans d’âpres débats internes — d’autoriser la vente à l’Arabie saoudite de plus de 200 exemplaires de la version la plus moderne du fameux char Leopard 2, a semblé mettre fin à la doctrine, jusqu’alors en vigueur, d’exclure toute vente d’armes lourdes à caractère offensif à des régions en crise et a fortiori à des régimes antidémocratiques. Pour Merkel, et malgré de très fortes oppositions politiques internes, le critère d’exportation est devenu avant tout l’intérêt économique et géopolitique allemand, ce qui motive ses pairs du top five des vendeurs d’armes. Un tabou est resté cependant intangible : aucune exportation n’était possible vers un pays arabe hostile à Israël. De précédentes tentatives des industriels allemands avaient été bloquées par la chancellerie pour ce même motif, notamment concernant l’Arabie saoudite, et seules des armes légères avaient pu passer les mailles du filet.

Pour l’affaire des Leopard 2, Berlin a ainsi pris attache avec Tel-Aviv pour demander son avis sur ce contrat potentiel avec Riyad, ainsi que celui de Washington. Tous deux ont donné officieusement leur accord. Riyad, client des États-Unis, n’était-il pas devenu aussi l’un des principaux alliés d’Israël, en particulier face à l’Iran  ? D’autant plus que l’Allemagne, qui entretenait jusqu’à l’arrivée d’Angela Merkel en 2005 de bien meilleures relations avec la République islamique que les autres États européens, a aligné depuis sa position sur celles des capitales américaine et israélienne. L’argument majeur de l’exécutif allemand contre ses détracteurs internes a été l’approbation d’Israël pour cette vente d’armes lourdes.

Mais l’opposition au parti de Merkel, l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (Christlich Demokratische Union Deutschlands, CDU) et les alliances politiques que celle-ci a dû concéder par la suite ont fini par geler pour l’instant ce projet. Le contexte du Printemps arabe et du soutien de l’Arabie saoudite, avec les blindés de sa garde nationale, à l’écrasement par la monarchie de Bahreïn du soulèvement de la population chiite du petit royaume ont notamment donné des arguments aux opposants à ce contrat. Et ceci d’autant plus que la version du Leopard 2 prévue pour l’armée saoudienne était justement optimisée pour le combat en zone urbaine, donc idéale pour réprimer une population.

EXPORTATIONS EN HAUSSE HORS OTAN ET UE

Ceci ne signifie pas pour autant que l’Allemagne renonce à exporter les produits de son industrie d’armement en dehors du périmètre de ses alliés de l’OTAN, de l’Union européenne et d’Israël. L’Algérie est en 2013 la première destination des armements allemands hors OTAN. En Asie, l’Indonésie et la Corée du Sud sont de bons clients. Pour ce qui est du Proche-Orient, l’Allemagne a signé en 2009 en Arabie saoudite un contrat pour livrer 1 400 missiles air-air pour avions de combat et début 2014 pour plus d’une centaine de petits patrouilleurs navals. Au Qatar, en 2013, face à la France qui équipait jusqu’alors la quasi-totalité de la petite armée, c’est un contrat majeur portant sur 86 chars Leopard 2 — mais d’une autre version — et des canons. En Égypte, un premier contrat conclu en 2011 pour deux sous-marins est sur le point d’être doublé par un second pour deux sous-marins supplémentaires.

En 2013, les exportations militaires allemandes vers des pays nonUE ou OTAN ont ainsi augmenté de 38 % par rapport à 2012 et ont largement dépassé celles à destination de l’UE et de l’OTAN.

ABANDON PROGRESSIF DES RESTRICTIONS POLITIQUES

Même si le pragmatisme froid n’a pas encore vraiment conquis l’Allemagne dans le domaine des ventes d’armes, un virage est cependant amorcé. Son seul frein reste l’activisme des derniers tenants de la «  doctrine Gensher  », du nom du ministre fédéral des affaires étrangères sous les chanceliers Helmut Schmidt et Helmut Kohl de 1974 à 1992, interdisant l’exportation d’armes vers les régions en crise.

Il apparaît certain toutefois que l’Allemagne, en matière militaire extérieure, sort peu à peu de sa torpeur castratrice, comme l’a montré sa récente et relativement importante participation aux opérations en Afghanistan. L’adhésion de Merkel à la lutte contre le terrorisme aux côtés des États-Unis devrait perpétuer ce genre de participation hors des frontières de l’Europe. La récente décision de Berlin de livrer des armes aux peshmergas kurdes d’Irak dans le cadre coordonné de la lutte contre l’organisation de l’État islamique est une première, qui marque un pas supplémentaire dans l’abandon de ses restrictions politiques.

Déjà, consciemment ou non, l’Allemagne se débattait dans une contradiction de fond. D’un côté continuer de s’interdire à contribuer, par des ventes d’armements, à alimenter des crises et à soutenir des régimes antidémocratiques, et de l’autre, via l’Agence allemande de coopération internationale (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, GIZ), faire depuis des années une promotion active de ses industries auprès de nombreux pays pour le moins très peu démocratiques, sous couvert d’aide au développement et d’action humanitaire, y compris en faisant participer des militaires.

Cette contradiction éclatait de manière criante par la place qu’elle occupait dedeuxième fournisseur d’armes à l’armée israélienne. Le récent durcissement de ton de la chancellerie à l’endroit de la politique menée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou dans les territoires palestiniens occupés ne suffit pas à atténuer ce grand écart silencieux mais toujours réel. La doctrine Gensher paraît bien sur sa fin, comme en témoigne la livraison d’armes aux milices kurdes irakiennes et plus globalement le grignotage progressif du marché du Golfe par les industriels de l’armement. Y compris avec la vente de sous-marins à l’Égypte, dont le régime du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi est certes allié d’Israël mais auteur d’une répression sanglante. La France a du souci à se faire, elle qui tente de maintenir à grand-peine ses parts de marché d’armement auprès des monarchies du Golfe et sa place d’acteur au Proche-Orient jusqu’à se fourvoyer dans des concessions politiques inutiles.

1Après avoir soutenu Israel jusqu’à être l’un de ses principaux pourvoyeurs d’armements, le général de Gaulle a condamné l’initiative israélienne de la guerre de 1967 et surtout l’occupation des territoires qui en a découlé. Il a décidé en janvier 1969 d’un embargo sur les armes.

2Le Foreign Military Financing est un programme au profit de pays amis des États-Unis qui consiste à leur attribuer une enveloppe financière pour acquérir des armements américains, mais aussi pour financer des formations militaires aux États-Unis ou sur place.



http://orientxxi.info/magazine/en-silence-les-armes-allemandes-a,0672

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19 septembre 2014 5 19 /09 /septembre /2014 01:56
Le recul des États au Proche-Orient

UN VIDE REMPLI PAR LE CONFESSIONNALISME ET LES MILICES

   > 4 SEPTEMBRE

Les avancées de l’État islamique sont à imputer d’abord à l’effondrement de l’autorité de l’État, qui ne touche pas seulement la Syrie et l’Irak, mais aussi le Liban, le Yémen ou la Libye. Le vide dû à l’absence de contrôle de la part d’un pouvoir central est comblé par des forces locales qui se regroupent autour d’identités confessionnelles, ethniques, tribales et régionales, dans le cadre des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Soldats de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), image de propagande.
(Légende nbcnews).

L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) vient de se rebaptiser «  État islamique  » (EI) et a instauré un califat à Mossoul1. Il menace à la fois Bagdad et Erbil en Irak2 tout en consolidantson emprise dans l’est de la Syrie et en portant son combat vers Alep. Ses succès ont attiré dans ses rangs un surcroît de volontaires et de groupes de combattants qui, sans forcément partager son idéologie, prennent le train en marche dans la perspective de son apparente victoire. La macabre exécution du journaliste américain James Foley3 a capté l’attention de la communauté internationale, mais ses succès étaient bien antérieurs à cet événement. Les bombardements américains ont beau réduire l’importance de ses gains militaires dans le nord de l’Irak, nul ne peut dire que l’EI a été vaincu.

L’EI est, d’une certaine façon, le produit d’une nouvelle guerre froide au Proche-Orient. La cause de cette crise régionale est à imputer à l’échec des autorités étatiques à contrôler leurs frontières et leurs territoires, à fournir à leurs populations les services qu’elles en attendent et, au bout du compte, à forger une identité politique commune qui pourrait constituer la base d’une communauté politique. Cet effondrement de l’autorité normale de l’État ne s’est pas produit seulement dans une grande partie de la Syrie et de l’Irak, mais aussi au Liban, au Yémen, en Libye et peut-être même dans certaines zones de l’Égypte. Le vide dû à l’absence de contrôle de la part d’un pouvoir central est comblé par des forces locales qui se regroupent autour d’identités confessionnelles, ethniques, tribales et régionales.

Le gouvernement régional du Kurdistan en Irak, le Hezbollah libanais, le mouvement houthi au Yémen et les diverses milices confessionnelles en Syrie et en Irak sont, chacun à leur manière, les manifestations de l’échec des pouvoirs centraux dans leurs pays respectifs. Mais l’EI se distingue des autres organisations en ce sens qu’il n’a pas d’allié puissant ou régional.

TÉHÉRAN CONTRE RIYAD

Les vides politiques dans la région favorisent l’émergence de champs de bataille pour les pouvoirs régionaux. L’Iran et l’Arabie saoudite en sont les principaux protagonistes, mais d’autres puissances régionales comme la Turquie, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Égypte soutiennent des groupes locaux dans leurs luttes politiques intestines et dans leurs guerres civiles, avec pour objectif d’accroître leur propre puissance, de prendre le pas sur leurs rivaux et de promouvoir leurs idéologies. L’Iran accorde son aide au Hezbollah, à diverses milices chiites irakiennes, à Bachar Al-Assad et à la direction conduite par les chiites à Bagdad. Les Saoudiens soutiennent à la fois des groupes laïcs et salafistes qui combattent Assad tandis que la Turquie et le Qatar sont derrière des groupes affiliés aux Frères musulmans en Syrie. Le Qatar aura été le principal financier de Mohammed Morsi — aujourd’hui renversé — des Frères musulmans en Égypte. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis soutiennent Sissi qui a chassé du pouvoir les Frères musulmans.4 Quand il est apparu que le gouvernement régional du Kurdistan en Irak était menacé, Américains et Européens se sont mobilisés pour le soutenir.

PAS DE PROTECTEUR OFFICIEL DERRIÈRE L’ETAT ISLAMIQUE

L’EI quant à lui n’a pas de protecteur, ce qui rend d’autant plus difficile de lui assigner une place sur l’échiquier géopolitique des affrontements régionaux. D’aucuns dans le monde arabe ne peuvent concevoir qu’un groupe qui réussit aussi bien puisse émerger sans soutien extérieur et s’empêcher d’y voir la main de Washington ou celle d’Israël. Compte tenu de son inclination idéologique pour le salafisme, l’Arabie saoudite est accusée d’en être le parrain d’une manière ou d’une autre. D’autres ont essayé de faire porter la responsabilité de la montée en puissance de l’EIau Qatar et à la Turquie.

Aucune de ces théories ne tient. Il est quasiment certain que l’EI a pu compter sur des personnalités en Arabie saoudite ou dans des pays du Golfe, à la fois en termes de volontaires et de contributions financières. Qatar et l’Arabie saoudite ont investi des sommes importantes dans l’opposition syrienne, et il est possible qu’une partie de leur argent ait fini entre les mains de l’EIIL puis de l’EI. Mais il n’existe aucune preuve qui tendrait à montrer que ces deux pays soutiennent directement cette organisation. En ouvrant ses frontières aux opposants syriens, la Turquie a permis à toutes sortes de groupes de s’organiser pour s’approvisionner. Aucun d’eux n’a connu la réussite de l’EI.

L’EIIL n’est pas devenu la force qu’il représente aujourd’hui grâce à l’appui d’un gouvernement. Il a trouvé seul ses moyens financiers, tirant ses ressources du banditisme, de l’extorsion d’argent en échange de sa protection, du contrôle de routes marchandes et en captant des revenus tirés des raffineries de pétrole et des centres de distribution d’essence. Il recrute largement au Proche-Orient, en Afrique du Nord et au-delà, ses succès incitant les djihadistes et autres sympathisants à rejoindre ses rangs. Il est extrêmement bien organisé et discipliné. L’une de ses forces, en termes de propagande, est d’afficher qu’il n’est l’obligé d’aucune puissance étrangère. Il peut proclamer aux sunnites syriens et irakiens — qu’il commande et sur lesquels il repose (que ce soit par une coopération active ou par une acceptation passive) — qu’il est le gardien de leurs intérêts contre les pouvoirs confessionnels de Damas et de Bagdad.

UNE ALLIANCE TEMPORAIRE ET FRAGILE

Son indépendance est un atout, mais c’est aussi sa faiblesse. Il a une propension à réunir contre lui la plupart des acteurs de la nouvelle guerre froide au Proche-Orient. L’Iran et les alliés de l’Iran le détestent à cause de son idéologie farouchement anti-chiite. Les Saoudiens le craignent car il représente une possible menace intérieure qui pourrait faire du salafisme une idéologie politique révolutionnaire alors que traditionnellement il contribue à la protection du régime. La Turquie, les Kurdes, les États-Unis, l’Union européenne et la Russie ont tous à y perdre si l’EI l’emporte. Ses succès récents ont contraint l’administration de Barack Obama à se réengager militairement et les Iraniens àéjecter Nouri Al-Maliki de son poste de premier ministre d’Irak. À l’égard de l’EI, Washington, Téhéran, Bagdad, Erbil, Ankara, Damas et Riyad ont des intérêts similaires sinon identiques. En fin de compte, l’indéniable talent de l’organisation à se créer des ennemis aura des conséquences non seulement sur les puissances extérieures mais aussi parmi les populations dont il prétend être le protecteur.

Mais la préservation de cette alliance temporaire nécessitera beaucoup d’efforts, ne serait-ce que parce que les acteurs régionaux s’affrontent sur d’autres terrains. Dans l’hypothèse où l’EI connaîtrait un revers de fortune, ces acteurs seraient tentés de se désintéresser de l’organisation au profit de leurs propres rivalités. Il n’est pas douteux que la puissance aérienne et les capacités américaines en matière de renseignement ont un rôle à jouer dans la lutte contre l’EI. Mais la tâche la plus importante pour Washington est de préserver l’alliance contre l’EI. Cela passe par un engagement de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du gouvernement kurde à Erbil aux côtés des États-Unis pour maintenir la pression sur l’EI. Cela nécessite également de soutenir et de faire pression sur le pouvoir central en Irak pour qu’il mette de l’ordre dans ses affaires. Cela signifie qu’il faut considérer que l’intérêt de l’Iran sur cette question n’est pas distinct de celui des États-Unis. La tâche n’est pas facile, mais elle est plus aisée que d’avoir à affronter un État djihadiste consolidé au cœur du Proche-Orient.

1NDT. Son dirigeant est Abou Bakr Al-Bagdadi, désormais «  imam et calife de tous les musulmans où qu’ils résident  ».

2NDT. Située à moins de 100 km à l’est de Mossoul, Erbil est la capitale de la région autonome du Kurdistan, dans le nord de l’Irak. La ville est aussi la capitale de la province d’Erbil. Sa population est d’environ un million et demi d’habitants.

3NDT. L’EI a revendiqué la décapitation de James Foley dans une vidéo diffusée le 19 août 2014.

4NDT. Les Frères musulmans ont été chassés du pouvoir en Égypte en juillet 2013.

 

http://orientxxi.info/magazine/le-recul-des-etats-au-proche,0659

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18 septembre 2014 4 18 /09 /septembre /2014 01:58
Dire la condition palestinienne au théâtre 

UNE ADAPTATION DE L’OEUVRE DE GHASSAN KANAFANI

    > 12 SEPTEMBRE

Sept étudiants de l’Académie dramatique du théâtre-cinémathèque Al-Kasaba de Ramallah ont présenté le 2 septembre une adaptation théâtrale du roman Des hommes dans le soleil (Rijjal fil-chams) de Ghassan Kanafani à Ramallah. Ce texte des années 1960 exprime la condition des Palestiniens, leur lente agonie et les fausses promesses d’aide arabe et internationale. Quatre décennies plus tard, les choses ont-elles vraiment changé ?

C’est une puissante adaptation théâtrale qui a été présentée par d’anciens élèves de l’Académie dramatique d’Al-Kasaba1 le 2 septembre dernier à Ramallah, à l’occasion d’une cérémonie de remise de diplômes. Le choix du texte n’est pas le fruit du hasard :Des hommes dans le soleil est une œuvre phare de la littérature palestinienne. Publié à Beyrouth en 1963, le premier roman de Ghassan Kanafani, assassiné à Beyrouth en juillet 1972 par les services secrets israéliens, est une pièce maîtresse de l’œuvre de l’auteur et de la littérature moyenne-orientale, de par les techniques et procédés littéraires employés. Ce texte est surtout empli de symboles : celui de la condition palestinienne, de sa lente agonie et des fausses promesses d’aide - qui n’ont rien perdu de leur puissance ni de leur actualité.

Le roman livre l’histoire dramatique de Abou Qays, Asʿad et Marwan, trois Palestiniens de générations différentes, aux trajectoires singulières, comme trois tableaux juxtaposés mais qui se rassemblent, unis par la misère de leur condition et l’espoir d’une vie meilleure, autour du personnage de Abou Al-Khayzaran. Ce dernier, chauffeur de camion, leur propose un accord pour les faire passer illégalement dans la citerne de son camion, de Bassorah à Koweït, sorte d’eldorado pour les Palestiniens. Pourtant le plan échoue et les trois hommes, le vieux maître d’école, le jeune homme qui a laissé sa fiancée et l’adolescent encore imberbe, n’arriveront jamais au pays du pétrole et de leurs espoirs. Pris au piège de leur cachette en métal, dans la chaleur écrasante alors que les démarches à la frontière s’éternisent dans une conversation indécemment futile, ils meurent d’étouffement, sous le regard du lecteur/spectateur renvoyé à sa propre impuissance.

UNE ŒUVRE PLEINE DE SENS POUR LES PALESTINIENS

Kanafani a écrit trois pièces de théâtre : Al-Bab (La Porte)  ; al-qubʿa wa-l-nabi (Le Chapeau et le prophète)  ; jisr ila l-abad (Un Pont vers l’éternité), mais c’est le plus souvent ce roman qui est adapté au théâtre par les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, d’Israël ou des camps des pays voisins. Du point de vue de la forme, le texte original se compose d’une série de monologues intérieurs qui retracent les histoires individuelles, ce qui facilite sa transposition dans une adaptation théâtrale et fait pleinement sens. Tout en traitant la thématique de la dispersion des Palestiniens après 1948, Kanafani semble par son texte parvenir à les réunir.

Le metteur en scène Bashar Murkus, né en 1992 à Haïfa et diplômé du département des études théâtrales de l’université de Haïfa, propose à travers cette pièce sa lecture du roman. Après des débuts de comédien, Murkus, parmi les plus prometteurs de sa génération, fonde en 2011 la troupe Insan ’ala khachaba («  Un être humain sur scène  ») puis écrit deux ans plus tard Al-zaman al-muwazi (Le temps parallèle), qu’il met en scène dans une production du théâtre Al-Midan de Haïfa.

UNE SOUFFRANCE SI PROCHE

La mise en scène, adaptée à une telle œuvre, est simple et dépouillée. Les accessoires sont minimaux et un élément domine : le sable, répandu sur la scène. Il transmet d’emblée le sentiment de chaleur torride ressentie sous un soleil écrasant, comme une désolation, un mirage. Les acteurs tracent l’un après l’autre leur chemin en balayant ce sable (comme le fait une famille autour de Abou Qays), mais il revient toujours, disséminé à nouveau, recouvrant chacune des histoires, engloutissant les traces et la mémoire des trois personnages. On ne peut s’empêcher de penser que le sable est aussi une métaphore de l’éparpillement et de la dispersion, comme lorsque les acteurs le jettent, au début de la représentation, et qu’il retombe en pluie.

L’enfermement n’est pas rendu comme tel mais suggéré : le camion et la citerne sont évoqués par un mime, un volant dans les mains de Abou Al-Khayzaran, deux rétroviseurs et une échelle (portés par divers acteurs) pour monter et descendre dans la citerne, piégeant toute la salle dans le spectacle de l’agonie. Enfin si grave soit le sujet, la mise en scène ne manque pas d’humour, qui personnifie le Chatt al-Arab2 par un acteur en vêtements bleus, allongé sur le sol avec une radio qui bruisse et fait entendre les mouvements de l’eau, cadre de l’accord entre les quatre personnages.

L’écho à cette souffrance décrite dans cette œuvre n’est, dans le contexte actuel, pas à chercher très loin : la cérémonie était placée sous le signe de la solidarité avec la population de Gaza à nouveau sous les bombes, mentionnée dans les discours de George Ibrahim, fondateur d’Al-Kasaba et directeur général de l’Académie, ou encore d’Asʿad al-Asʿad, directeur général du théâtre-cinémathèque. L’événement s’inscrivait ainsi dans les opérations culturelles de soutien menées depuis la dernière opération militaire israélienne, dite «  Bordure protectrice  », en juillet, avec Gaza tuwahhiduna   Gaza nous rassemble  ») au Théâtre national palestinien El Hakawati de Jérusalem-Est. En questionnement permanent sur leur rôle et leur fonction dans la société palestinienne, les femmes et hommes de théâtre, des anciennes aux nouvelles générations, cherchent à trouver leur place et apporter leurs réponses par des moyens artistiques.

1Fondée en janvier 2009 en coopération avec l’université des Arts de Folkwang en Allemagne, avec laquelle les liens restent très forts, l’Académie dramatique d’Al-Kasaba bénéficie du soutien de la fondation Mercator et du ministère des affaires étrangères allemand. Grâce au succès de l’Académie au cours de ses trois premières années d’activité, la Welfare Association et le Fonds arabe de développement économique et social lui apportent également leur soutien. Dès sa fondation, les objectifs de l’Académie s’inscrivent dans le travail des femmes et hommes de théâtre palestiniens : éducation artistique, professionnalisation des comédiens et des metteurs en scène, particulièrement des femmes, et développement d’un mouvement théâtral palestinien ancré dans sa société.

2«  La rivière des Arabes  », dans le delta commun du Tigre et de l’Euphrate.


http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/dire-la-condition-palestinienne-au,0673


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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 01:53
The Historical Perspective of the 2014 Gaza Massacre

 

By Ilan Pappé

 

21 August, 2014.

 

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Israel’s ‘Operation Protective Edge’ against the occupied Gaza Strip.

 

People in Gaza and elsewhere in Palestine feel disappointed at the lack of any significant international reaction to the carnage and destruction the Israeli assault has so far left behind it in the Strip. The inability, or unwillingness, to act seems to be first and foremost an acceptance of the Israeli narrative and argumentation for the crisis in Gaza. Israel has developed a very clear narrative about the present carnage in Gaza.

 

It is a tragedy caused by an unprovoked Hamas missile attack on the Jewish State, to which Israel had to react in self-defence. While mainstream western media, academia and politicians may have reservations about the proportionality of the force used by Israel, they accept the gist of this argument. This Israeli narrative is totally rejected in the world of cyber activism and alternative media. There it seems the condemnation of the Israeli action as a war crime is widespread and consensual.

 

The main difference between the two analyses from above and from below is the willingness of activists to study deeper and in a more profound way the ideological and historical context of the present Israeli action in Gaza. This tendency should be enhanced even further and this piece is just a modest attempt to contribute towards this direction.

 

 

AD HOC SLAUGHTER?

 

An historical evaluation and contextualization of the present Israeli assault on Gaza and that of the previous three ones since 2006 expose clearly the Israeli genocidal policy there. An incremental policy of massive killing that is less a product of a callous intention as it is the inevitable outcome of Israel’s overall strategy towards Palestine in general and the areas it occupied in 1967, in particular.

 

This context should be insisted upon, since the Israeli propaganda machine attempts again and again to narrate its policies as out of context and turns the pretext it found for every new wave of destruction into the main justification for another spree of indiscriminate slaughter in the killing fields of Palestine.

 

The Israeli strategy of branding its brutal policies as an ad hoc response to this or that Palestinian action is as old as the Zionist presence in Palestine itself. It was used repeatedly as a justification for implementing the Zionist vision of a future Palestine that has in it very few, if any, native Palestinians. The means for achieving this goal changed with the years, but the formula has remained the same: whatever the Zionist vision of a Jewish State might be, it can only materialize without any significant number of Palestinians in it. And nowadays the vision is of an Israel stretching over almost the whole of historic Palestine where millions of Palestinians still live.

 

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Palestinian refugees, 1948.

 

This vision ran into trouble once territorial greed led Israel to try and keep the West Bank and the Gaza Strip within its rule and control ever since June 1967. Israel searched for a way to keep the territories it occupied that year without incorporating their population into its rights-bearing citizenry. All the while it participated in a ‘peace process’ charade to cover up or buy time for its unilateral colonization policies on the ground.

 

With the decades, Israel differentiated between areas it wished to control directly and those it would manage indirectly, with the aim in the long run of downsizing the Palestinian population to a minimum with, among other means, ethnic cleansing and economic and geographic strangulation. Thus the West Bank was in effect divided into a ‘Jewish’ and a ‘Palestinian’ zones – a reality most Israelis can live with provided the Palestinian Bantustans are content with their incarceration within these mega prisons. The geopolitical location of the West Bank creates the impression in Israel, at least, that it is possible to achieve this without anticipating a third uprising or too much international condemnation.

 

The Gaza Strip, due to its unique geopolitical location, did not lend itself that easily to such a strategy. Ever since 1994, and even more so when Ariel Sharon came to power as prime minister in the early 2000s, the strategy there was to ghettoize Gaza and somehow hope that the people there — 1.8 million as of today — would be dropped into eternal oblivion.

 

But the Ghetto proved to be rebellious and unwilling to live under conditions of strangulation, isolation, starvation and economic collapse. There was no way it would be annexed to Egypt, neither in 1948 nor in 2014. In 1948, Israel pushed into the Gaza area (before it became a strip) hundreds of thousands of refugees it expelled from the northern Naqab and southern coast who, so they hoped, would move even farther away from Palestine.

 

For a while after 1967, it wanted to keep as a township which provided unskilled labour but without any human and civil rights. When the occupied people resisted the continued oppression in two intifadas, the West Bank was bisected into small Bantustans encircled by Jewish colonies, but it did not work in the too small and too dense Gaza Strip. The Israelis were unable to ‘West Bank’ the Strip, so to speak. So they cordoned it as a Ghetto and when it resisted the army was allowed to use its most formidable and lethal weapons to crash it. The inevitable result of an accumulative reaction of this kind was genocidal.

 

 

INCREMENTAL GENOCIDE 

 

The killing of three Israeli teenagers, two of them minors, abducted in the occupied West Bank in June, which was mainly a reprisal for killings of Palestinian children in May, provided the pretext first and foremost for destroying the delicate unity Hamas and Fatah have formed in that month. A unity that followed a decision by the Palestinian Authority to forsake the ‘peace process’ and appeal to international organizations to judge Israel according to a human and civil rights’ yardstick. Both developments were viewed as alarming in Israel.

 

The pretext determined the timing – but the viciousness of the assault was the outcome of Israel’s inability to formulate a clear policy towards the Strip it created in 1948. The only clear feature of that policy is the deep conviction that wiping out the Hamas from the Gaza Strip would domicile the Ghetto there.

 

Since 1994, even before the rise of Hamas to power in the Gaza Strip, the very particular geopolitical location of the Strip made it clear that any collective punitive action, such as the one inflicted now, could only be an operation of massive killings and destruction. In other words: an incremental genocide.

 

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The Allenby Bridge, 1967.

 

This recognition never inhibited the generals who give the orders to bomb the people from the air, the sea and the ground. Downsizing the number of Palestinians all over historic Palestine is still the Zionist vision; an ideal that requires the dehumanisation of the Palestinians. In Gaza, this attitude and vision takes its most inhuman form.

 

The particular timing of this wave is determined, as in the past, by additional considerations. The domestic social unrest of 2011 is still simmering and for a while there was a public demand to cut military expenditures and move money from the inflated ‘defence’ budget to social services. The army branded this possibility as suicidal. There is nothing like a military operation to stifle any voices calling on the government to cut its military expenses.

 

Typical hallmarks of the previous stages in this incremental genocide reappear in this wave as well. As in the first operation against Gaza, ‘First Rains’ in 2006, and those which followed in 2009, ‘Cast Lead’, and 2012, ‘Pillar of Smoke’, one can witness again consensual Israeli Jewish support for the massacre of civilians in the Gaza Strip, without one significant voice of dissent. The Academia, as always, becomes part of the machinery. Various universities offered the state its student bodies to help and battle for the Israeli narrative in the cyberspace and alternative media.

 

The Israeli media, as well, toed loyally the government’s line, showing no pictures of the human catastrophe Israel has wreaked and informing its public that this time, ‘the world understands us and is behind us’. That statement is valid to a point as the political elites in the West continue to provide the old immunity to the Jewish state. The recent appeal by Western governments to the prosecutor in the international court of Justice in The Hague not to look into Israel’s crimes in Gaza is a case in point. Wide sections of the Western media followed suit and justified by and large Israel’s actions.

 

This distorted coverage is also fed by a sense among Western journalist that what happens in Gaza pales in comparison to the atrocities in Iraq and Syria. Comparisons like this are usually provided without a wider historical perspective. A longer view on the history of the Palestinians would be a much more appropriate way to evaluate their suffering vis-à-vis the carnage elsewhere.

 

 

CONCLUSION: CONFRONTING DOUBLE-STANDARDS

 

But not only historical view is needed for a better understanding of the massacre in Gaza. A dialectical approach that identifies the connection between Israel’s immunity and the horrific developments elsewhere is required as well. The dehumanization in Iraq and Syria is widespread and terrifying, as it is in Gaza. But there is one crucial difference between these cases and the Israeli brutality: the former are condemned as barbarous and inhuman worldwide, while those committed by Israel are still publicly licensed and approved by the president of the United States, the leaders of the EU and Israel’s other friends in the world.

 

Israel Gaza Dead Children 03

Gazan child, 2014.

 

The only chance for a successful struggle against Zionism in Palestine is the one based on a human and civil rights agenda that does not differentiate between one violation and the other and yet identifies clearly the victim and the victimizers. Those who commit atrocities in the Arab world against oppressed minorities and helpless communities, as well as the Israelis who commit these crimes against the Palestinian people, should all be judged by the same moral and ethical standards. They are all war criminals, though in the case of Palestine they have been at work longer than anyone else. It does not really matter what the religious identity is of the people who commit the atrocities or in the name of which religion they purport to speak. Whether they call themselves jihadists, Judaists or Zionists, they should be treated in the same way.

 

A world that would stop employing double standards in its dealings with Israel is a world that could be far more effective in its response to war crimes elsewhere in the world. Cessation of the incremental genocide in Gaza and the restitution of the basic human and civil rights of Palestinians wherever they are, including the right of return, is the only way to open a new vista for a productive international intervention in the Middle East as a whole.

 

Ilan Pappé is an Israeli historian at the University of Exeter, UK. His books include The Ethnic Cleansing of Palestine (2007) and The Idea of Israel (2014).


http://www.pipr.co.uk/all/the-historical-perspective-of-the-2014-gaza-massacre/

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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 01:54
La perspective historique du massacre de Gaza de 2014


Ilan Pappé (The Plymouth Institute for Peace Research)
publié le dimanche 24 août 2014.


21 août 2014

L’opération d’Israël, « Bordure protectrice » contre la bande de Gaza assiégée.

La population dans Gaza et ailleurs en Palestine est déçue par le manque de réaction internationale véritable au carnage et à la destruction que l’agression israélienne a jusqu’à présent laissés derrière elle dans la Bande. L’incapacité d’agir, ou l’absence de volonté, semble être avant tout l’acceptation de la version et de l’argumentation israéliennes pour la crise à Gaza. Israël a développé une version très claire sur l’actuel carnage dans Gaza.

Cette tragédie n’a pas été causée par une attaque non provoquée de missiles du Hamas sur l’État juif, et à laquelle Israël, en état de légitime défense, se devait de réagir. Même si les médias occidentaux de grande diffusion, des universitaires et personnalités politiques ont pu émettre des réserves sur la proportionnalité de la force mise en œuvre par Israël, ils n’en acceptent pas moins l’essentiel de cet argument. Cette version israélienne est totalement rejetée dans le monde du cybermilitantisme et des médias alternatifs. Là, il semble que la condamnation de l’action israélienne, en tant que crime de guerre, soit généralisée et consensuelle.

La principale différence entre les deux analyses, ci-dessus comme ci-dessous, est la volonté des militants d’étudier en profondeur et d’une façon plus affinée le contexte idéologique et historique de l’action israélienne en cours dans Gaza. Cette tendance doit même être renforcée et cet article est juste une modeste tentative de contribuer dans cette direction.

Un massacre ad hoc ?

Une évaluation historique et une contextualisation de l’actuelle agression israélienne contre Gaza, comme des trois précédentes depuis 2006, met clairement en évidence la politique génocidaire israélienne. Une politique incrémentielle de meurtres massifs qui est moins le produit d’une intention inhumaine que le résultat inévitable de la stratégie globale d’Israël envers la Palestine en général, et les régions qu’il occupe depuis 1967, en particulier.

Il faut insister sur ce contexte, étant donné que la machine de propagande israélienne essaie encore et encore de présenter sa politique hors de son contexte et de faire du prétexte qu’elle trouve pour chaque nouvelle vague de destruction, la justification principale d’une nouvelle série de massacres aveugles dans les champs de la mort de Palestine.

La stratégie israélienne qui désigne sa politique brutale comme une réponse ad hoc à telle ou telle action palestinienne est aussi vieille que la présence sioniste en Palestine elle-même. Elle a été utilisée à maintes reprises pour justifier la concrétisation de la vision sioniste d’une future Palestine, avec très peu de Palestiniens natifs, voire aucun. Les moyens pour arriver à cet objectif ont changé avec les années, mais la formule est restée la même : quelle que puisse être la vision d’un État juif, elle ne peut se matérialiser si elle y inclue un nombre important de Palestiniens. Et aujourd’hui, la vision est celle d’un Israël qui couvre presque entièrement la Palestine historique où vivent encore des millions de Palestiniens.

Réfugiés palestiniens, 1948

Cette vision s’est heurtée à des problèmes quand l’avidité territoriale a conduit Israël à essayer de maintenir la Cisjordanie et la bande de Gaza sous sa domination et son contrôle après juin 1967. Israël a cherché un moyen pour garder les territoires qu’il a occupés cette année-là sans incorporer leur population en tant que sujets de droit. Pendant tout ce temps, il a participé à une mascarade de « processus de paix » pour faire oublier le passage du temps, ou en gagner, pour sa politique unilatérale de colonisation sur le terrain.

Les décennies passant, Israël a différencié les régions qu’il voulait contrôler directement de celles qu’il gèrerait indirectement, avec l’objectif à long terme de réduire la population palestinienne à son minimum par, entre autres moyens, le nettoyage ethnique et l’étranglement économique et géographique. De sorte que la Cisjordanie a été en effet divisée en zones « juives » et en zones « palestiniennes » -, une réalité que la plupart des Israéliens peuvent vivre à condition que les bantoustans palestiniens se satisfassent de leur incarcération à l’intérieur de ces méga prisons. La situation géopolitique en Cisjordanie crée l’impression, en Israël, tout du moins, qu’il est possible d’y parvenir sans anticiper sur un troisième soulèvement ou trop de condamnations internationales.

La bande de Gaza, en raison de sa situation géopolitique unique, ne se prête pas aussi facilement à une telle stratégie. Depuis 1994, et même plus encore quand Ariel Sharon est arrivé au pouvoir comme Premier ministre au début des années 2000, la stratégie a été de ghettoïser Gaza et, d’une manière ou d’une autre, d’espérer que sa population – 1,8 million aujourd’hui – tomberait dans l’oubli éternel.

Mais le ghetto s’est avéré rebelle et non disposé à vivre dans des conditions d’étranglement, d’isolement, de famine et d’effondrement économique. Il n’y a eu aucune possibilité de le faire annexer à l’Égypte, ni en 1948 ni en 2014. En 1948, Israël a poussé dans la région de Gaza (avant qu’elle ne devienne une Bande) des centaines de milliers de réfugiés qu’il avait expulsés du nord du Néguev et de la côte sud, ce qui, espérait-il, les éloignerait encore plus de la Palestine.

Pendant un certain temps après 1967, il a voulu la garder comme un ghetto qui fournirait une main-d’œuvre sans qualification, et sans aucun droit humain et civil. Quand la population occupée a résisté à l’oppression permanente, au cours de deux Intifadas, la Cisjordanie a été divisée en petits bantoustans encerclés par les colonies juives, mais cela ne pouvait fonctionner dans la trop petite et trop dense bande de Gaza. Les Israéliens ont été, pour ainsi dire, incapables de « cisjordaniser » la Bande. Donc, ils l’ont bouclée, comme un ghetto, et quand elle résistait, l’armée était autorisée à utiliser les armes les plus redoutables et les plus meurtrières pour l’écraser. Le résultat inévitable d’une réaction cumulative de ce genre est le génocide.

Un génocide incrémentiel

Le meurtre des trois adolescents israéliens, dont deux étaient mineurs, enlevés en Cisjordanie occupée en juin, en représailles principalement de celui d’enfants palestiniens en mai, a fourni le prétexte d’abord et avant tout pour briser l’union fragile que le Hamas et le Fatah avait formée au cours du mois. Une union qui faisait suite à une décision de l’Autorité palestinienne de renoncer au « processus de paix » et de faire appel aux organisations internationales pour faire juger Israël selon les critères des droits de l’homme et des droits civils. Ces deux évolutions ont été considérées comme alarmantes en Israël.

Le prétexte a déterminé le moment – mais la sauvagerie de l’agression résulte de l’incapacité d’Israël à formuler une politique claire pour la bande de Gaza qu’il a créée en 1948. Le seul élément clair de cette politique est la conviction profonde que liquider le Hamas dans la bande de Gaza permettrait d’y installer le ghetto.

Depuis 1994, avant même l’arrivée du Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza, la situation géopolitique très particulière de la Bande indiquait clairement que toute action de punition collective, comme celle qui y est infligée actuellement, ne saurait être qu’une opération de massacres et de destructions en masse. Dit autrement : un génocide incrémentiel.

Le pont Allenby, 1967

De le reconnaître n’a jamais empêché les généraux de donner les ordres de bombarder la population depuis le ciel, la mer et la terre. La réduction du nombre de Palestiniens dans toute la Palestine historique reste toujours la vision sioniste ; un idéal qui requiert la déshumanisation des Palestiniens. Dans Gaza, cette attitude et cette vision ont pris une forme plus inhumaine.

Le moment particulier de cette vague est déterminé aussi, comme dans le passé, par des considérations annexes. Les troubles sociaux intérieurs de 2011 sont encore frémissants et pendant un moment, il y a eu une exigence publique pour réduire les dépenses militaires, et transférer l’argent pris sur le budget excessif de la « Défense » vers les services sociaux. L’armée a qualifié cette éventualité de suicidaire. Il n’y a rien de telle qu’une opération militaire pour étouffer les voix qui demandent au gouvernement de réduire ses dépenses militaires.

Les caractéristiques typiques des précédentes étapes dans ce génocide incrémentiel réapparaissent aussi dans cette vague. Comme dans la première opération contre Gaza, « Pluies d’été », en 2006, et dans celles qui ont suivi en 2009, « Plomb durci », et en 2012, « Pilier de défense », on assiste une fois encore à un soutien consensuel des Israéliens juifs au massacre des civils dans la bande de Gaza, sans aucune voix prépondérante de la dissidence. L’université, comme toujours, devient partie intégrante du mécanisme. Diverses universités ont proposé à l’État ses organismes d’étudiants pour aider et défendre la version israélienne dans le cyberespace et les médias alternatifs.

Les médias israéliens, eux aussi, ont marché droit, fidèlement, dans la ligne du gouvernement, ne montrant aucune photo de la catastrophe humaine qu’Israël provoquait, et informant le public que cette fois-ci, « le monde nous comprend et est derrière nous ». Cette déclaration est à ce point valide que les élites politiques en Occident continuent d’accorder la classique immunité à l’État juif. L’appel récent de gouvernements occidentaux à la procureure de la Cour de justice de La Haye pour ne pas enquêter sur les crimes d’Israël dans Gaza va dans ce sens. Dans leur majorité, les médias occidentaux ont emboîté le pas et justifié pour une grande part les actions d’Israël.

Cette couverture dénaturée est également alimentée par un sentiment chez les journalistes occidentaux que ce qui se passe à Gaza n’est rien comparé aux atrocités en Iraq et Syrie. Les comparaisons de ce genre sont généralement avancées dans une perspective historique étroite. Un regard plus large sur l’histoire des Palestiniens serait plus de circonstance pour évaluer leur souffrance par rapport aux carnages d’ailleurs.

Conclusion : se confronter au deux poids deux mesures

Mais ce n’est pas seulement une vue historique qui est nécessaire pour une meilleure compréhension du massacre dans Gaza. Une approche dialectique identifiant les liens entre l’immunité d’Israël et les développements atroces qui se produisent ailleurs est également requise. La déshumanisation en Iraq et en Syrie est générale et terrifiante, comme à Gaza. Mais il existe une différence capitale entre ces exemples et la brutalité israélienne : les premières sont condamnées comme barbares et inhumaines dans le monde entier, pendant que celles perpétrées par Israël sont toujours publiquement autorisées et approuvées par le Président des États-Unis, les dirigeants de l’Union européenne et d’autres amis d’Israël dans le monde.

Un enfant de Gaza, 2014

La seule possibilité de succès pour la lutte contre le sionisme en Palestine est celle qui se fonde sur un programme de droits humains et droits civils, qui ne fait aucune différence entre une violation et une autre, et qui identifie clairement la victime et les agresseurs. Ceux qui commettent les atrocités dans le monde arabe contre les minorités opprimées et les communautés sans défense, à l’instar des Israéliens qui exécutent ces crimes contre le peuple palestinien, doivent être jugés sur les mêmes normes morales et éthiques. Ce sont tous des criminels de guerre, sauf que dans le cas de la Palestine, ils sont à l’œuvre depuis plus longtemps qu’ailleurs. L’important n’est pas l’identité religieuse de ceux qui commettent les atrocités, et au nom de quelle religion ils prétendent parler. Peu important qu’ils se nomment eux-mêmes djihadistes, judaïques ou sionistes, ils doivent être traités de la même manière.

Un monde qui cesserait son deux poids deux mesures dans ses relations avec Israël est un monde qui pourrait être plus efficace dans ses réponses aux crimes de guerre perpétrés ailleurs dans le monde. Arrêter le génocide incrémentiel dans Gaza et restituer aux Palestiniens leurs droits humains et civils fondamentaux, où qu’ils soient, donc y compris le droit au retour, sont le seul moyen d’ouvrir de nouvelles perspectives pour une intervention internationale efficace pour l’ensemble du Moyen-Orient

Ilan Pappé est un historien israélien, de l’université d’Exeter, au Royaume-Uni. Entre autres livres, il a écrit Le Nettoyage ethnique de la Palestine (2007) et L’idée d’Israël (2014).

PIPR : http://www.pipr.co.uk/all/the-histo...

 

Traduction : JPP pour la CCIPPP


Ilan Pappé (The Plymouth Institute for Peace Research)

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